VU DU BALCON : ARCHIVES

Ce qu’il y a de surprenant avec les insomnies c’est qu’elles remettent totalement en question la notion de temps. Je m’en suis aperçu cette nuit en me réveillant vers 2h30. Pensant qu’une demie-heure venait de s’écouler, j’ai vu au réveil : 4h. Puis une demie-heure plus tard : 5h. Je me suis rendormi et c’est le bruit de l’eau qui m’a réveillé, une heure après, vers 8h. J’ai ouvert doucement la porte de la salle de bain et Fab du dentifrice plein les lèvres m’a dit « Fait voir ta tête… » J’ai feint une mine de malade, toussotant, enroué mais devant son air découragé je me suis vite repris. Tout allait bien ce matin, le soleil cognait sur mes bouquins par une petite lucarne. J’ai ouvert le store  pour mieux savourer ce ciel d’Est  bleu azur. Cette image me manquera quand nous ne serons plus ici.  Après le petit dèj je suis parti avec le chien vers les collines que j’aime traverser en automne pour mieux admirer l’alignement des volcans qui nous entourent. Les couleurs d’automne ne sont pas encore au rendez-vous, mais cela ne saurait plus tarder. Je me suis arrêté pour mieux profiter de cette douce matinée et j’ai regardé ces trois volcans, quatre en fait, qui nous tiennent compagnie, fidèles et protecteurs. Le Puy de la Nugère qui a fournit du travail aux hommes de la région pour l'extraction de la fameuse pierre de Volvic, durant des siècles et encore aujourd’hui. Là a été découvert la non moins fameuse eau de Volvic grâce à laquelle les chinois connaissent l’Auvergne. C’est également sur ses pentes que, lors de notre première balade, nous nous sommes bel et bien perdus. Juste à ses côtés, si on se situe sur le même plan, Les Puys de Jume et de la Coquille , qui, de l’endroit d’où on les observe, forment comme un énorme volcan strombolien, mais qui en fait sont bien distincts l’un de l’autre. Puis à droite, le Puy de Louchadière, que nous n’avons pas encore gravi et qui propage ses eaux jusqu’à 150 km de ses sources dit-on. Je regarde ces trois frères parfois longuement, sans jamais me lasser du spectacle, trouvant ces lignes harmonieuses et voluptueuses. Au loin j’entends les hommes se mettre au travail dans cette matinée d’automne presque estivale. Les marteaux cognent, les tronçonneuses coupent, les tondeuses font ronfler les moteurs et Pyrus s’impatiente à mes pieds. Tout ça est à moi. «  Je suis riche de ça, et ça ne s’achète pas » Mais qui c’est qui chantait cette chanson ? ah oui, j’y suis…ouffff.

Elle me fait rire et m’étonnera toujours. Assise sur la canapé, le nez plongé dans son tricot et la télé qui marche, on se demande bien pourquoi.  Si j’ai le malheur de poser une question, elle me rétorque chut, j’écoute. Et la paire de chaussettes avance, lentement, au rythme de ces soirées d’automne qui s’avancent. De temps en temps, de la chambre où je pianote d’un doigt hésitant sur un clavier démodé, j’entends la porte de l’armoire s’ouvrir doucement et un bruit caractéristique de paquet de friandises monte jusqu’à mes oreilles encore bien  vigilantes malgré leur âge. Alors je lance un :« doucement le chocolat ! », et un rire  menteur me répond : « un seulement »… Elle s’est déjà arrêtée de fumer, je vais pas la priver de chocolat. Le chien, dans le panier, roupille, roulé dans ses poils encore tout emprunts des odeurs de la promenade du soir. Dehors, c’est le silence. Un silence d’altitude, froid, sain, inquiétant parfois. C’est une soirée d’automne sans cheminée, dans le confort d’une vie que l’on s’est reconstruit petit à petit, simplement. Et tant qu’il y aura des chocolats dans l’armoire, les jours et les nuits passeront ainsi, allègrement, savoureusement. Parfois amèrement aussi. Tout dépendra du chocolat.

L’hiver qui approche, qui sera donc notre quatrième ici, à Paugnat, m’inquiète un peu. Je me suis entendu dire hier à des amis : « Nous avons fait le tour de la question, nous sommes bien décidés à retrouver un peu de chaleur… ». Oui, je suis peu enclin à subir les tourmentes hivernales qui approchent et un peu de tranquillité à ce sujet me satisferait bien. Ce qui me dérange n’est pas tant la neige et ses désagréments, ce sont ces journées froides et humides, avec ce couvercle de nuages stagnant sur le pays, un peu comme chez nous là-haut dans le Nord, où nous restions parfois  plusieurs jours, le moral miné, sans apercevoir un seul coin de ciel bleu, sous une lumière blafarde et cruelle. Et, m’étant longuement penché sur le problème durant l’année qui vient de s’écoulée, je me sens prêt maintenant à faire le pas, quitter cet environnement qui a abrité nos peines et guéri notre désarroi. Reste à choisir un autre lieu de vie, où cette chaleur recherchée, une lumière plus présente ne seront plus un souci mais de précieuses  alliées sur lesquelles nous pourront coucher nos fatigues passagères. Si c’est pour ne plus ressentir le besoin de proximité de cette nature bienfaisante et vivre dans l’indifférence de ce qu’elle nous apporte, mieux vaut en changer, mieux vaut s’éloigner pour mieux la désirer de nouveau. Cette fois je suis bien conscient que cet hiver qui s’avance ici sera le dernier, et chaque promenade devient une occasion de m’imprégner pleinement  de tout ce qui nous a fait renaître. Préparés, nous pourrons continuer à avancer.

La porte.

Les cauchemars ne font pas partie de mes nuits. Par chance, je ne suis pas sujet à ce genre de rêve, et, bizarrement, je ne m’en suis jamais étonné, j’aurais dû. Car la nuit dernière j’ai reçu la visite d’une étrange Dame, qui, immobile dans l’encadrement de la porte de la chambre, me fixait d’un regard inquisiteur et funeste. Moi, allongé sous les couvertures comme l’enfant cherchant à se protéger du Mal, j’observais cette forme plantée dans la pénombre de la pièce, terrorisé, me demandant bien ce qui allait se produire. Je me suis réveillé. J’ai eu peur de regarder vers la porte, qui était bien fermée. Une longue sensation de froid m’a glacé l’échine, et dans la journée, chaque fois que j’ai pensé à cet événement, la même impression de froid m’a traversé du haut en bas. Ce soir je n’arrive toujours pas à me défaire de cette image. Bon j’espère simplement que ce genre d’expérience restera unique et que les visites ne se répèteront pas. Voilà ce que c’est que de parler de spectres à tout va, là où des mots exprimant la beauté, le calme, la contemplation seraient plus appropriés. Mais mon goût pour les choses mystérieuses, inexplicables, irrationnelles prend une grande part dans l’idée que je me fais du monde qui nous entoure. Il faut dire aussi que j’ai parfois assisté à des situations bien déstabilisantes dont j’ai témoigné dans ce blog, à ses débuts. C’est qu’il doit y en avoir dans cette petite tête! De quoi faire concurrence à Mr Poe. Et si ce genre de phénomène se répétait, je crois que je n’hésiterais pas à coucher sur papier ces drôles de sensations qui m’ont traversé aujourd’hui, de nouvelles nouvelles extraordinaires en quelque sorte…     

Il était une petite fois, Petite Voix.

Jules m’a donné un mal de crâne terrible. J’avais déjà essayé « De la terre à la lune » sans avoir réussi à passer le tiers du bouquin. « Avec Vingt mille lieux… » je suis arrivé au deux tiers. Mais épuisé, j’ai renvoyé le livre au chaud entre ses collègues plus fortunés que lui. Dans le style « étalage de culture », j’avais eu ma dose avec les Rougons Macquart, pour lequel Monsieur Zola s ‘amusait durant des pages complètes à nous décrire des environnements où l’on finissait par se perdre d’ennui ( je me souviens de la description du jardin de l’abbé Mouret…). Mais passionné par cette saga familiale j’avais été au bout des vingt volumes, zappant, et je m’en excuse, quelques dizaines de pages pour éviter la torpeur d’une lecture trop lourde. J’étais jeune à l’époque, et ma foi, j’espérais bien le rester le plus longtemps possible. Dans la foulée, pour me purger de cette assiduité littéraire, j’avais lu quelques Djan qui m’ont rassuré sur mon niveau intellectuel. Hier soir, voulant rester quand même dans la même époque et pour ne pas souffrir des nausées dues à un trop brusque voyage au travers de l’espace temps, j’ai sorti « La petite Fadette », qui devrait me ramener en douceur sur ma planète imagination. A part ça, la vie continue sous un mois de Septembre beau comme à son habitude, depuis que nous le vivons ici. Le blog atteint allègrement sa quatrième année sous l’œil fidèle et attentif de quelques lecteurs assidus. De temps à autre, lorsque notre fournisseur pense à réparer sa liste de mise à jour, il m’arrive d’avoir quelques pointes de visites avec au passage quelques mots gentils et sincères. Et depuis quelques mois j’ai deux fidèles lectrices, dont je ne cherche pas à découvrir les secrets mais que je visite également, et j’éprouve un sentiment bizarre de reconnaissance profond pour ces inconnues qui me soutiennent dans cette lourde tâche qu’est l’écriture autodidacte mais jamais inutile d’une tranche de vie. Il y a également les membres d’une famille laissés là-haut dans les frimas nordistes et avec qui le lien ainsi tissé m’aide à supporter la dure réalité de l’émigration. Je sais que Petite Voix va me lancer son jeu de mot souriant, que Sonia (Il était une petite fois) cherchera à élucider le sens que chaque chose porte en elle, que frère, neveux et nièces attendront de bonnes nouvelles, s’inquiétant de la moindre allusion à une quelconque tristesse. Z’en faites pas…tout va ben, y’a rien qui va mo, comme on dit à Maubeuge. Sacré Jules Verne va…Mais quand même il aurait pu développer un peu plus son fameux capitaine Némo. Dans lequel je me retrouve un peu…Mon Nautilus à moi, c’est mon vélo.    

Je suis parti ce matin en promenade avec le chien, pensant revenir après une petite heure de marche. Je me suis enfoncé dans la forêt, empruntant un sentier balisé, dans la fraîcheur d’une petite brume qui me fit relever le col de mon pull, les premiers frimas sont parfois surprenants par ici. Les douces mélodies de Moby m’accompagnaient et malgré un réveil bien matinal, je me sentais en pleine forme. Pyrus également car il me devançait d’une cinquantaine de mètres, comme à son habitude lorsqu’il quitte ses itinéraires habituels. Je marchais et je n’avais pas envie de m’arrêter, je n’avais qu’à suivre les balises de ce sentier de randonnée, déjà parcouru en début d’hiver, là même où j’avais trouvé une si belle lumière et mes spectres. Mais ce matin, le soleil timide n’arrivait pas à se frayer un chemin à travers les branchages et la légère couverture brumeuse. Qu’importe, je marchais dans des allées de sapins, au sein d’une verticalité impeccable, ce qui me changeait un peu de ces souvenirs d’horizontalité rencontrés lors de mes randos à vélo cet été dans le Cézallier. Et je marchais. Je décidais de faire le parcours dans sa totalité. Trop bien j’étais. ( !). J’ai essayé de retrouver mes spectres, sans résultat. C’est fou ce que la nature peut nous induire en erreur autant qu’elle a le pouvoir de nous indiquer la route. J’ai traversé quelques endroits un peu plus clairsemés ou je me suis imaginé des jeux d’enfants dans les bras puissants de chênes sans doute plusieurs fois centenaire. N’y connaissant pas grand chose, je ne m’avancerai pas plus. Au bas d’une petite pente, à travers les branchages et à une petite centaine de mètres devant moi, j’ai cru apercevoir une forme bouger. Quelques minutes plus tard je croisai l’immobilité stoïque d’un garde forestier, fidèle à son poste la veille d’un jour de chasse. Et soudain je me suis aperçu que je découvrais de nouveaux lieux. J’ai cherché les balises jaunes sans résultat, inquiet, mais Moby m’a vite rassuré. Le chien aussi. J’ai donc continué sur le sentier inconnu me fiant à mon sens de l’orientation essayant de retrouver un Nord perdu voici 4 ans déjà. Après un détour de quelques kilomètres j’ai retrouvé ma route, le chien ne s’est douté de rien mais trottinait maintenant plus près de moi, sans doute ses petites pattes de 77 ans en avaient-elles un peu marre. N’est pas Milou qui veut. Ni Tintin. Nous sommes rentrés sans encombre, deux heures et demi après notre départ, à une vive allure, heureux de cette mésaventure enrichissante. Je n’ai pas retrouvé mes spectres, mais qu’importe, je sais qu’ils sont là, tout près, à portée de promenade. Un de ces quatre matins, j’irai les retrouver, un matin de franc soleil, Moby dans les oreilles et mes photos seront belles. Il suffit simplement d’attendre le moment.

Donc, la souris blanche est venue et s’est volatilisée. Durant quelques jours j’ai visité l’endroit où je l’avais laissée avant sa disparition, mais rien. Elle restera le mystère de ce début Septembre 2010. Quant à moi, je viens de prendre dix ans à cause d’une coupe de cheveux que je ne désirais pas vraiment. J’avais pour une fois la chance de me faire coiffer par la patronne, brave femme souriante et pas bileuse pour un sou qui me laissa à plusieurs reprises sur le fauteuil d’exécution pour aller répondre au téléphone. La dernière fut la meilleure puisque je dus poireauter une bonne dizaine de minutes pendant qu’elle s’expliquait vaillamment avec son fournisseur de cuisine équipée. Lorsqu’elle revint à ma tonte je dois dire que je n’en menais pas large. Plusieurs fois j’ai eu peur pour la bonne santé de mes oreilles et leur utilité si précieuse. Je regardais, effrayé, les ciseaux aller et venir en compagnie du peigne sur mon crâne déjà bien dégarni et, de ce fait, n’osais pas lui demander de ne pas couper trop court. La bonne dame était bien trop occupée à m’expliquer ses déboires financiers avec ses fournisseurs sans scrupules qui demandent toujours à être payés avant que le travail soit fait. En ce qui me concerne, moi, je lui aurais bien donné un pourboire pour qu’elle arrête son travail, pour lequel elle se donnait si amoureusement d’ailleurs. J’ai observé, impuissant,  dans le miroir le changement s’opérer petit à petit. C’est fou comme on peut vieillir vite assis sur un fauteuil de cuir. Et je me suis souvenu…C’était une chaude journée d’août 76. Je regardais, fataliste, mes longs cheveux tomber sur le ciment sale d’un salon de coiffure improvisé dans une caserne perdue au milieu de nul part. Ce jour là ils n’ont pas eu ma moustache. Je l’ai rasée moi-même, un an après. Mais hier, pas de moustache. Rien que le miroir qui me reflétait la réalité des faits : une calvitie bien avancée, des lunettes et un appareil dentaire. Et encore…je ne parle que de l’apparence. Mais comme on dit, faut pas s’y fier. N'empêche, sur quatre ans, ça fait beaucoup quand même.  

J’ai assisté, hier, à l’agonie d’une souris, blanche. Je balayais (ben oui, encore) la plate-forme de chargement lorsque mon attention se porta sur une petite forme blanche qui se déplaçait par saccades régulières sur le ciment poussiéreux. Je cru tout d’abord à une boulette de papier poussée par les courants d’air. Je m’approchai et reconnu la silhouette caractéristique d’une petite souris, qui avait bien du mal à se situer  dans cet espace sombre et encore silencieux à cette heure de la matinée. Je remarquai vite les mouvements rapides de sa petite poitrine et son immobilité devant moi, sans crainte aucune, me porta à croire que ce petit animal était bien mal en point. J’approchai doucement le bord de ma pelle et du bout de mon balai poussai la malade dedans. Je me suis dirigé vers l’extérieur et doucement je l’ai déposée dans un endroit tranquille. On n’aime pas être dérangé quand on meurt. Plusieurs fois dans la matinée je suis revenu la voir, et devant cet animal, dont la respiration de plus en plus rapide ne laissait rien présager de bon, je me suis senti démuni, triste, vaincu une fois de plus.  Dans l’après-midi la souris avait disparue, et je me suis réjoui de savoir qu’elle avait pu choisir un autre lieu pour terminer sa vie. Peut-être était-elle simplement malade. Je ne sais. J’ai fais ce que j 'ai cru bon  de faire. Et cette nuit j’ai rêvé de mes enfants.

Ils ont dit que l’automne serait là en début de semaine. Je me suis donc employé ce matin à rendre une petite visite au Paugnasé, pour voir si ces deux mois d’été n’avaient pas trop abîmé ses pentes raides et craquantes sous le pied. Le soleil était déjà bien haut. J’ai ramassé quelques vieilles branches qui empêchaient une progression régulière et sécurisante et ma foi, je me suis dit, qu’à part quelques endroits qui mériteraient un peu plus d’entretien, les sentiers menant au sommet étaient prêts à affronter les premiers frimas. L’automne est sans doute la plus belle saison ici. Les couleurs, les odeurs, les ambiances brumeuses, tout concorde pour faire de cet environnement un endroit propice à la méditation ou simplement aux longues escapades contemplatives et revivifiantes. L’été ne se prête pas à cette surabondance de végétation, et l’atmosphère que l’on y respire semble parfois saturée, poussiéreuse, sans âme. La lumière semble ne pas remplir son rôle, sauf au petit matin ou lorsqu’elle est atténuée de lourds nuages donnant du contraste aux paysages. L’hiver bien sur, c’est un autre pays qui nous entoure, quand la neige transforme les moindres contours des sentiers et du relief, au point de faire douter le plus doué des randonneurs sur sa position géographique. Quand au printemps, c’est un peu un trait d’union qui ne donne pas le meilleur de lui même ici, sans doute à cause, encore une fois, de l’abondance et la proximité envahissante des forêts environnantes. L’automne colorie, éclaircit, embaume toute cette nature qui révèle alors tous les mystères que notre imagination veut bien y trouver. Et mon dieu, je suis prêt à subir ces quelques degrés en moins qui vont en faire râler plus d’un, en échange des merveilles que la saison prochaine nous apportera bientôt. C’est ce à quoi je pensais, ce matin, là-haut, du haut du Paugnasé, pendant que le soleil enlevait délicatement les derniers voiles de brumes recouvrant la Plaine de Limagne, là-bas tout au fond, vers l’Est. 

Child in time.

Ce matin je pensais, en balayant les abords de mon lieu de travail, MP3 sur les oreilles, écoutant « Highway Star de Deep Purple » : je crois que sur ce plan, j’ai réussi ma vie. 53 ans, pas de Rolex au poignet, mais la capacité, 40 ans plus tard, de siffler note pour note le chorus de guitare du dit morceau. Et croyez moi, ce solo, ça filait droit et juste. Comme à vingt ans, lorsque je balayais la sciure de la charpenterie où je faisais mes armes, j’étais capable d’anticiper les intro des morceaux qui se succédaient dans ma boîte à musique. Made in Japan, album que l’on se repassait en boucle et dont les sillons se creusaient irrémédiablement sous l’aiguille fatiguée du pick-up. Le soir en promenant le chien dans la pénombre des sentiers, j’en étais à « Lazy ». Et pendant que les chevreuils, les écureuils, les oiseaux, les chiens, les renards, les loups, les mammouths se pressaient autour de moi pour attirer mon attention, je marchais tête basse écoutant ce long morceau jazzy, les cheveux en moins, mais les doigts toujours tapotant le long de ma jambe pour chaque touche de guitare jouée. Sans aucune faute. Je n’ai jamais su aligner deux notes de solo sur ma guitare à vrai dire, mais les imaginer, ça je savais faire. Même sans guitare. Je suis rentré et j’ai fait la remarque à Fab : il n’y a pas beaucoup d’animaux dans le Puy de Paugnat en ce moment. Sur qu’à m’entendre siffler comme cela, c’est pas demain la veille que je les ferai sortir de leur tanière.

Demi- tour

Et c’est déjà un lendemain. Seul dans la maison silencieuse, j’essaie de reprendre les forces laissées sur le bitume. Il me faudra un ou deux jours pour évacuer les souvenirs de ces petites routes de montagnes, tortueuses, caillouteuses, parfois vicieuses. Devant mes yeux défilent tous les kilomètres avalés tranquillement, tous les arrêts pour vérifier ma route, les souffrances dans des cols méconnus  pourtant réserve insoupçonnable de richesses naturelles. Je revois ce rapace dans le ciel planant au-dessus d’une vallée majestueuse, dans un ciel bleu azur. Je m’étonne encore de la découverte du Lac du Pêcher, au détour d’une forêt fraîche et odorante dans ce petit matin à peine levé. Je souris à ce sursaut de conscience, lorsque, sans doute en pleine euphorie, je me revois douter de cette pente que je descendais à pleine allure, alors que je venais de laisser sur ma droite la route à suivre, qu’ils sont durs à accepter ces moments de renoncement, ces brusques retours en arrière, ces pénibles sentiments de respect pour soi-même lorsqu’il faut retrouver sa route, la Vraie. Ne jamais la quitter. Gravée dans notre esprit, elle doit nous conduire là où nous l’avons décidé, qu’importent les souffrances. Oui, «  la vie ne se résume pas à ce qu’elle est, mais à ce à quoi on peut renoncer », c’est pas Sonia qui me dira le contraire. J’aurais pu continuer cette descente et arriver à mon but plus tôt que prévu, laissant deux cols derrière moi, une jolie fontaine d’eau fraîche, et un panorama sur le puy Mary . Renoncer à la facilité. Et rechercher ma route. Voilà un beau souvenir de cette rando. Pour les beaux jours qui restent, ce sera du plat…en attendant la saison prochaine.

Demain, au petit matin, je partirai pour la troisième fois vers le Cézallier pour compléter la découverte de ce vaste plateau qui m’a charmé pour ce qu’il a de mystérieux et d’envoûtant. Pédalant seul au milieu de ces vastes étendues de verdure, j’essaierai une fois encore de retenir ces instants précieux qui resteront en moi, comme le sont restées toutes ces escapades réalisées au fil des années. J’en aurais à raconter, mais, mis à part les connaisseurs en la matière, qui cela intéresserait-il ? Pourtant j’essaie, d’une certaine manière de faire partager ces instants uniques, sans pour cela rentrer dans des détails qui, bien que nécessaires, pourraient me faire sortir de mon sujet. Car ce n’est pas de la réalisation d’une rando dont je veux parler au travers de ces compte rendu, mais de cette recherche d’absolu qui m’a toujours poussé à aller voir plus loin, plus haut, plus «autre-chose». Alors comme toutes les veilles de départ, l’inquiétude de l’inconnu s’insinue doucement en moi, faisant naître toutes ces sensations de défense intérieure sans lesquelles aucune aventure ne serait menée à son terme dans de bonnes conditions. La nuit sera courte. Tant mieux.

En écoutant Led Zep...

Sur le mur vierge de toute décoration qui m’imposait sa nudité depuis trois ans, j’ai fixé quelques simples planches de bois, prenant soin de ne pas abîmer les surfaces de plâtres, par respect pour notre propriétaire. Puis je suis monté au grenier, j’ai pris tous ces livres entreposés là depuis notre arrivée et je les ai rangés méticuleusement sur cette bibliothèque improvisée. Les choses ont repris leur place, comme si le temps ne s’était jamais arrêté. Je peux de nouveau, lorsque je n’ai rien à faire, observer tous ces livres sans vraiment de valeur matérielle, la seule valeur, et pas des moindres, étant sans doute celle contenue dans toutes ces écritures qui m’ont fait tel que je suis aujourd’hui. Je n’ai pas cherché vraiment bien loin pour me trouver une route à suivre, je n’ai fais que lire, bien souvent trop sommairement, mais jamais inutilement. Je regarde ces petits soldats patients et heureux d’être à nouveau à l’honneur, mais un peu triste de n’avoir pas servi plus souvent. Ils n’en ont pas eu le temps. L’essentiel est sans doute ce que le passé, par leur présence, évoque pour moi. C’est peut-être une autre main qui les rangera définitivement, mais cela, c’est une autre histoire…

 

Le dernier matin avant notre retour en Auvergne, je me suis dirigé vers la plage avant que le soleil se lève. Je n’étais pas seul. Un pêcheur peut-être plus attentionné par le spectacle de cette nuit finissante que par ses cannes se tenait assis, tranquille, face à la mer encore silencieuse à cette heure. Sur le sable j’ai aperçu une forme se tortillant de temps à autre, sans doute un couple de jeunes qui avaient passé la nuit là, emmitouflés dans leur épais duvet d’amour. Et j’ai attendu. L’horizon s’est soudain éclairci légèrement, je me suis dit qu’il ne devait plus y en avoir pour très longtemps. Quelques joogers arrivaient sur leur lieu d’entraînement, des baigneurs matinaux se dirigeaient vers l’eau pour profiter de cette solitude précaire. Puis, très rapidement, le soleil a franchi la ligne parfaite de ce bout du monde multicolore et s’est élevé dans un ciel parfait. Nous terminions nos vacances.

Wight is White.

Nous avons pris la route du Sud le 26 juillet en décidant de n’écouter aucune info. Si le monde doit s’arrêter, qu’il le fasse sans nous. Nous sommes arrivés sur notre lieu de villégiature, le même que l’année dernière, bien décidés à découvrir plus profondément ce pays aux couleurs exceptionnelles et aux richesses sans doute cachées derrière ses paysages de cartes postales trop tape à l’œil pour être vraies. Accompagnés d’une tramontane omniprésente mais rafraîchissante, nous avons parcouru durant une dizaine de jours des chemins poussiéreux dans des décors parfois lunaires mais toujours accessibles pour qui veut s’y aventurer. Je me suis souvent posé la question, en observant ces ruines perchées sur leurs aiguilles rocailleuses, comment ces peuples pourchassés pour leurs idées avaient pu construire ces nids d’aigles qui dépassent l’entendement. Nous avons traversé ces vignes dont le produit bien trop souvent dénigré soulageait notre soif et notre envie de repos le soir au bord de la mer. Nous avons poussé nos vélos sur des routes de cols interminables mais qui faisait naître en nous une puissance inexplicable, peut-être la même qui grandissait les constructeurs de ces châteaux Cathares. Et nous avons laissé la mer aux baigneurs, nous contentant de nous réjouir de leur bonheur d’être si libres, loin des soucis quotidiens et destructeurs. Et le monde pouvait s’arrêter, on ne nous aurait pas demandé notre avis. Ces vacances 2010 seront pour moi celles où j’ai compris, en l’entendant à la radio, quarante années après sa sortie, les paroles de « Marianne » que Delpech chantait si bien et que je croyais être une chanson ringarde pour vacanciers attardés. Pauvre chanteur obligé de faire des galas d’été pour boucler les fins de mois alors qu’il mériterait d’avoir sa statue, tout là-haut, au milieu des ruines ancestrales qui témoignent d’une époque pas très réjouissante. Nous avons eu raison de ne pas écouter les infos.   

Je pensais ce matin, en gravissant le Puy de Paugnat  dans la fraîcheur humide du petit matin : quel drôle de destin que le nôtre…J’avançais dans la pénombre de la forêt, le chien devant moi, et comme lui je tendais l’oreille à tous ces bruits d’une nature à peine éveillée. Nous avons entendu le brame grave d’un chevreuil et ce cri un peu lugubre dans cette atmosphère brumeuse ajouta à mes pensées une touche de mystère. J’avais quitté la maison alors que le jour n’était pas encore tout à fait levé et le ciel, chargé de ses gros nuages, ne m’avait pas incité à prendre l’appareil photo. Je compris une fois arrivé au sommet l’erreur qu’une fois de plus j’avais commise. Pour la seconde fois j’assistais à un magnifique lever de soleil, plus somptueux encore que celui auquel j’avais assisté il y a quelques mois. La pluie tombée en lourdes averses ses derniers jours créait comme un léger voile d’humidité au-dessus des différents paysages, formant comme un miroir dans lequel les couleurs se transformaient un peu à la manière de l’arc en ciel. Tous les tons de vert, bleu, orange rouge…se mélangeaient dans un pastel du plus bel effet. Quel étrange destin que le nôtre…La vie était là à mes pieds et dans ce ciel d’une pureté indescriptible, et je pensais à ces moments terribles que nous avions traversés. Je pensais à la soirée de la veille, que nous avions passé avec les parents des enfants que Fab avait gardé durant cette année, et je mesurais le chemin parcouru. Je pensais à ces trois bambins que nous avons vu grandir et évoluer et je sentais en moi tout ce qu’ils nous avaient donné sans s ‘en rendre compte. J’ai entendu l’Angélus chanter depuis l’église du village, relayé par celui plus grave du village voisin situé derrière la colline. J’ai regardé ce village baigné de lumière et je me suis dit : Quel destin que le nôtre, sans pouvoir y ajouter d’adjectif.

J’étais entrain de commencer cette note quand la foudre nous est tombé dessus. Nous avons été plongés dans le noir et le silence l’espace de quelques instants et petit à petit nous avons refait surface. Comme je suis également entrain de le faire depuis quelques heures, depuis que ces orages qui tournent autour de nous me sortent d’une léthargie dans laquelle je m’enfonçais depuis plusieurs jours. Je sentais depuis lundi un poids immense peser sur mes épaules sans que je parvienne à m’en défaire. Là dessus est venu s’ajouter une permanente envie de somnoler et une mauvaise humeur qui ont plongé mon entourage dans le désarroi. Il était temps qu’il vienne cet orage. Fabienne voyant un léger mieux s’amorcer cet après-midi m’a tout de même confié qu’elle m’avait acheté une tablette de chocolat pour améliorer mon humeur exécrable qui angoissait jusqu’au chien, ce dernier n‘ayant pas eu droit à ses promenades habituelles depuis deux jours. J’écoute l’orage s’éloigner espérant que cet air devenu plus respirable sera bénéfique pour moi. Je vais donc continuer à étudier mes cartes Michelin de la région Pyrénées, lieu de futures escapades à vélo, durant la trop courte période de vacances qui commence dans deux jours. Le Tourmalet m’attend pour fêter son centième anniversaire, d’ici là espérons que Fab aura peaufiné son entraînement pour grimper là-haut avec moi. Elle m’a déjà prévenu que c’est pas monter qui lui fait peur, mais descendre. De quoi vous donner un moral d’acier. Y’ en a qui ont le mot pour rire. Allez je vais manger cette tablette de chocolat aux noisettes.

Après avoir battu des records de froid cet hiver, nous frôlons cet été des températures qui dépassent l’entendement. Même ici en altitude, l’air est difficilement respirable. La pluie de ce soir nous sort d’une torpeur dans laquelle nous étions plongés depuis quelques jours. Le pare-brise de la 206 n’a pas résisté au souffle trop frais de la clim et c’est rageusement que j’ai pris le téléphone pour appeler la société qui vante ses mérites à grands coups de pub alléchantes sur le petit écran, pour éventuellement me dépanner sur cet incident. Et là surprise ! Avant toute chose on vous pose un tas de questions sur  votre véhicule sur un ton qui vous fait passer pour un moins que rien, l’automobiliste imbécile tout juste bon à sortir le porte monnaie et casquer à tout va. Elle n’a pas été bien loin la réceptionniste au bout du fil. Je te l’ai envoyée sur les roses  à la troisième question. « Faudrait voir à pas nous prindre pour des c… ». Les Deschiens m’ont appris la leçon, j’applique(voir note du 27 02 2010). Bon. Malgré la chaleur, nous avons passé un bon week-end, en compagnie de notre propriétaire de sa famille et de nos voisins, pour fêter ses soixante ans. L’occasion pour lui de présenter le petit groupe de jazz-manouche dans lequel il joue et pour lequel il a souvent voulu me débaucher pour tenir la place de chanteur. J’ai tenu bon jusqu’ici, mais je dois dire que lors de cette petite fête, plusieurs fois l’envie de pousser la chansonnette m’a titillé. C’est peut-être là aussi l’effet de ce temps qui passe petit à petit, soulageant des blessures qui ont ravagé une partie de mon âme si profondément. J’ai regardé cet homme courageux et philosophe taper les cordes de sa contre-basse, m’interrogeant une fois de plus sur les circonstances de notre rencontre. Cette « année de trop » qui vient de passer serait-elle celle qui va nous implanter ici, et ceci pour un bon bout de temps encore ? Le cercle de connaissances s’est agrandi et nous avons de plus en plus la conviction que nous faisons partie de cette vie qui s’avance ici, à Paugnat. Même Fab pense comme moi, malgré la neige, c’est pour dire ! 

Hier est déjà demain.

Je retourne le petit calendrier pour afficher les six mois suivants : c’est un bon signe, les vacances approchent. Je regarde ces six colonnes en me disant que les deux premières vont passer comme une balle, qu’on va se retrouver en septembre, la rentrée, autant dire Noël ! Certain diront qu’il faut savourer chaque chose en son temps, et je serai d’accord avec eux. Mais je ne sais pas m’en tenir au présent, trop curieux que je suis de connaître la teneur de ce temps passé et à venir. Je suis toujours entrain de me projeter d’avant en arrière, de faire des bilans silencieux, des projets secrets, de travailler intérieurement cette vie que je n’aime pas savoir immobile. En ce moment par exemple, je fais le bilan de cette année passée en compagnie des trois enfants dont Fabienne à eu la garde. Cette riche expérience, je l’ai vécu un peu comme un examen de passage. En effet, je ne savais pas comment nous allions réagir face à ses trois bambins que nous avons vu évoluer, et qui font partie de notre vie à présent. Ils ont rempli la maison de leur cri de joie et de chamaillerie et s’en passer serait difficile je crois. C’est un événement qui est arrivé au bon moment, celui où, sentant petit à petit une routine s’installer, nous avons eu à gérer de nouvelles situations. De ce fait, nous avons fait connaissance de personnes qui nous ont souvent apporté réflexion et confiance, deux sentiments qui élèvent et nous portent vers la sérénité. Notre futur proche va tourner autour de la gestion de ce nouveau quotidien, et c’est pour cela que parler de changement de Vie dans le titre de ce blog paraît un peu dénaturé, même si un changement peut s’opérer sur plusieurs années. Je pense que ce que sera demain va maintenant dépendre du travail de Fab et de notre capacité à nous organiser autour. Moi mes projets sont simples, la remettre en selle pour partir sur les route d’Auvergne ou d’autres régions de France, la décider à acheter un petit camping car pour partir plus loin faire de nouvelles découvertes, gérer ce temps qui nous appartient chaque jour un peu plus. 

3

La rando s’est terminée vers 14h, sur la place de Blesle. Il faisait chaud et durant une demie-heure je suis resté à l’ombre, essayant de récupérer au mieux à grands coups d’eau minérale, un litre et demi fût ainsi englouti sur ce court laps de temps Il me fallait passer à présent à une autre étape : rendre visite à une copine que je n’avais plus vue depuis trente longues années. J’ai vite fait les calculs. Elle était plus âgé que nous, c’est elle qui se coltinait les aller et retour en boîte le samedi soir en deudeuche. Et elle était là, à peine à quelques kilomètres, 6 ou 5. Je me suis donc dirigé en voiture vers le petit hameau devant lequel j’étais passé le matin. Au centre du bourg j’ai arrêté la voiture et tout de suite j’ai remarqué quelques personnes qui se faisaient la conversation à une dizaine de mètre. J’ai aperçu une chevelure blonde, et tous se sont tourné vers moi, se demandant que venait faire là ce sportif tout de noir vêtu, le visage buriné par 7 h de soleil et l’effort continu. Je me suis approché vers Evelyne en lui disant un « bonjour » un peu surréaliste. Elle m’a regardé un peu perdue, faisant un signe de négation avec la tête. Je me suis alors dévoilé et le reste a suivi. Comme chez tous les gens du Nord, le café était prêt, attendant la visite éventuelle. Nous avons discuté, je lui ai annoncé de mauvaises nouvelles au sujet d’amis qu’elle aurait aimés revoir, mais aussi des espoirs de meilleures. L’heure s’avançait, je lui ai promis de revenir pour une plus longue visite. Et je l’ai laissé à sa solitude de femme divorcée, dans sa maison de campagne, et j’étais heureux d’avoir retrouvé une amie fidèle, comme son frère retrouvé l’année dernière dans les Pyrénées. Fidèle à ce que nous avions décidé d’être, sans jamais s’en parler. Il y a trente ans, voir quarante...

2.

Le plus incroyable dans tout ça, c’est que cette passion pour les longues randonnées à vélo, cette envie de découverte qui peut me prendre du jour au lendemain m’a été influée par un homme qui connaissait son sujet en matière de bicyclette. Son père déjà vendait des vélos. Nous n’étions pas, mon beau-père et moi, de même culture. A l’époque où il me fit la surprise, un soir de Noël, de m’offrir un vélo, j’en fut si surpris que ce soir encore je me demande s’il a vu ce jour là dans yeux une sorte de gêne liée à la fois à l’incompréhension devant ce cadeau qui me faisait plaisir, mais dont je ne voyais pas l’utilité. J’aurais sans doute préféré alors une bonne vieille Télécaster pour pouvoir y plaquer mes sempiternels trois accords de rock and roll. Je me mis donc à faire quelques sorties dominicales avec ses copains du club dont il était président. Lorsque nous passions la soirée chez mes beaux-parents, je l’observais carte Michelin sur les genoux, entrain de prévoir ses prochaines aventures cyclotouristiques. J’utilise encore aujourd’hui les mêmes cartes sur lesquelles sont tracés au feutre vert les différents endroits où il voulait se rendre. Lorsque je les sort pour les étudier, je ne peux m’empêcher quelques instant de penser à cette image d’il y a trente ans, que je ne comprenais pas, mais qui m’apporte tant ce soir. Samedi, quand le doute venait par vagues successives laminer mes efforts, je pensais à ce soir de Noël et à cette bicyclette qui fût plus un message transmis plutôt qu’un simple cadeau. Je pense qu’il avait discerné en moi une part d’aventurier solitaire et il m’offrait là un choix. Les grands hommes se reconnaissent au pouvoir qu’ils ont à se projeter dans le futur. Mon beau-père est mort sur son vélo, un douze Mars, jour de mon anniversaire.

1

Je n’oserai pas dire que cela a été une promenade de santé. Même si sur le fond mon organisme en est sorti plus fort, mieux préparé pour les futures escapades. Il n’est pas facile de grimper au paradis, les chemins qui y mènent sont parfois difficiles à parcourir. On a beau se préparer au voyage, l’inconnu et les surprises, bonnes ou mauvaises, forgent notre volonté d’apprendre. Ainsi ce Samedi, en démarrant vers 6h30 de la petite ville de Blesle encore toute endormie au pied de ses falaises, j’étais sans doute un peu trop pressé de suivre cette route vers les hauteurs, quand, trois kilomètres après ce départ précipité, je me suis aperçu que j’avais oublié ma pompe dans la voiture. Faut savoir accepter de faire demi-tour, et c’est rageusement que j’allai rechercher ce petit ustensile si précieux en cas de malheur. Puis j’ai repris ma route, tranquille, grimpant tranquillement vers les sommets, accompagné du doux chant des torrents descendant de ces hauteurs fraîches et ensoleillées. Dans l’ensemble cette sortie s’est bien déroulée, mais quelques accidents de relief non signalés sur la carte ont freiné mes ardeurs juvéniles. J’ai donc visité une autre partie de ce grand plateaux du Cézallier et dans ces grands espaces, j’ai pu apprécier l’importance d’une bonne préparation cartographique. Car pas question de se tromper de route sur ces vastes étendues. Un mauvais chemin qui vous fait dévaler 5 ou 6 km pour aboutir n’importe où et c’est bien vite le découragement qui vous envahit, vous privant de toute envie de refaire surface. « Tu as le temps de réfléchir quand tu roules ? » me demandait un copain hier soir. Ben oui, pour un cyclotouriste la carte remplace les flèches au sol, les pancartes, les commissaires de route. Et heureusement que l’on réfléchit…Hier je dois reconnaître que j’aurais aimé avoir une compagnie dans certains passages difficiles, car le doute, toujours lui, est un sentiment, je dirai, bizarre. Il est contraignant lorsque, au bord de l’abattement, on voudrait que tout s’arrête. Il est salvateur à la croisée des chemins quand, incertain, on sort la carte pour vérifier notre savoir. Oui il faut réfléchir dans ce genre d’exercice, mais pas seulement, il faut écouter les chuchotements de la nature, ce cri d’animal tout au fond de la vallée ou sur le sommet de la montagne, ce bruit de moteur lointain qui nous rassure sur la présence d’une civilisation proche, ces frémissements de l’air qui annoncent les changements de direction du vent, et ces bruits de mécanique sur laquelle on est assis depuis plusieurs heures. Il faut voir aussi, étudier la pente devant nous, les distances qui nous séparent des prochaines difficultés, voir les ombres changer sur le flanc des collines qui nous entourent, les détails de cette vie qui grouille dans les contrées traversées lorsque nous ne sommes pas là. Et sentir. Que cet « inutile » vaut la peine d’être vécu… 

La vache et le prisonnier

Je ne serai pas long ce soir, car je suis en phase d’atterrissage…Mais je voulais vous prouver que les animaux sont parfois plus gentils que les humains. A plus de mille mètres d’altitude j’en ai même trouvé qui prenaient soin de ma bicyclette !!

Vérité vraie.

La bulle s’est refermée. Je vis cette soirée en sens unique. Pas de retour possible. Tout est prêt, pensé, étudié. J’ai été chez le coiffeur, je serai moins lourd dans les côtes…non, je rigole, mais j ‘ai été chez le coiffeur quand même. Troisième repas avec des pâtes, sucres lents obligent. Et comme d’habitude une légère anxiété me tenaille. Là haut, il y aura des endroits où je n’aurai pas le choix. Avancer. Parler seul, chantonner sans ne gêner personne…Rire devant le regard sans expression des vaches Salers. Observer les ruines de vieux châteaux, et imaginer la vie de leur habitants, essayer d’entrevoir les fées, les Fades. Lever les yeux dans un ciel bleu azur et regarder les rapaces planer au-dessus les sommets inconnus de nos anciens instituteurs. Se dire qu’il aura fallut attendre plus de quarante ans pour découvrir ce que l’on nous a toujours caché. Que la bataille de Gergovie n’a pas eu lieu sur le plateau du même nom, par exemple. Qu’ à cause de cela j’ai peut-être eu une retenue de récré, ou 100 fois à copier « je dois apprendre mes leçons  et nanani et nanana… ». Mais je me disperse. J’ai simplement l’impression de prendre une revanche sur l’enfance et demain je pars en vélo…Ouais !

Mise en condition.

Depuis hier, je sens petit à petit la nervosité et l’impatience prendre du terrain. Je suis déjà là-haut, sur ces petites routes perdues de montagne, noyé dans mes pensées vagabondes. Je commence à penser à ce qu’il ne faut pas négliger, oublier, et, nerveusement, un peu angoissé par ce qui m’attend, je visite plusieurs fois par jour la météo de la région, craignant un changement soudain de conditions météorologiques. Nous avons eu tant de mauvaises surprises ces derniers temps que cela en devient un réflexe dont on a bien du mal à se passer. Comme si nous pouvions changer les choses ! Samedi devrait donc être une belle journée, pas trop chaude en altitude, avec un peu de vent de Nord qu’il faut prendre en considération. Je suis donc déjà en pleine préparation psychologique ce qui ne me déplait pas et un changement de programme me mettrait dans une humeur exécrable. En attendant faut aller au boulot, un petit sourire au lèvre, la mine réjouie par ce petit projet, plein de courage. C’est peut-être là que se trouvent les sources du bonheur.

En 2002, je pense que Là il y avait matière à scandale. Car il n’y avait aucune excuse. Je revois les mines dépitées de mes enfants. Et seul ce sentiment m’intéresse. Ils n’avaient rien d’autre pour les faire rêver, pour leur faire oublier la maladie. Quatre ans plus tôt je les avais vu courir dans la rue au soir de la victoire. Et je me disais que seul l’émerveillement pouvait produire ce miracle. En 2002 je comptais bien entendu les revoir heureux, insouciants et fiers de leur croyance indéfectible pour leurs bleus. Mais l’image d’une équipe totalement absente et irrespectueuse du souvenir d’autrui plongea mes deux champions dans le désarroi. Il allait falloir attendre quatre longues années avant de retrouver les héros. Ouais cette année 2002, Sébastien, certes, n’aurait déjà plus couru dans la rue pour crier la victoire des bleus, mais je l’aurais accompagné, dans le Toyota, à travers le village, drapeaux aux vitres de la voiture. Pour Dam, la course aurait été moins rapide, mais il serait resté avec ses copains, pour cette fois là encore. Mais en 2002, Zizou, mordant la poussière, était plus acrobate que footballeur, ne se souciant guère que de son image de marque. Oui en 2002, il y avait matière à scandale. Car ils ont privé mes gosses d’une dernière coupe du monde. En 2006, j’ai vu Zizou jeter son coup de boule dans la poitrine de l’insulteur, en me disant qu’après tout ce dernier l’avait bien mérité, et que moi à sa place j’aurais continué mon action. On insulte pas les Dieux. Surtout quand Ils ont comme spectateurs deux anges impatients de revivre leurs émotions de 98. Mais la vie nous dépasse parfois. Mes deux supporters de 98 sont passés à autre chose aujourd’hui. Ils s’occupent de nous, loin des jeux du stade, où de drôles de décadents nourrissent l’image de notre monde, et toutes ses simagrées ne les touchent plus. Ils se sont placés bien au-dessus de cela, et c’est leur Paix qui guide mon discernement ce soir. En 2002, là était le scandale. Car les bleus n’avaient aucune excuse. J’aurais peut-être dû leur faire un courrier à l’époque, avant la compétition, pour les prévenir. Qui sait ?

Alain, il a pas trop envie d’écrire en ce moment. Sans doute la couche nuageuse traînant sur la région depuis des semaines obscurcit-elle tout élan d’imagination, il ne sait pas. Hier, bravant la pluie, il a emmené sa compagne en voiture vers ces hauts plateaux traversés à coups de pédales patients et volontaires. C’est un peu aussi pour lui redonner l’envie de grandes escapades en vélo, à deux. Car elle roulait bien Fab, écœurant un à un les machos du dimanche, qui n’en revenaient pas de la voir grimper à un rythme soutenu et régulier,  des pentes à faire rougir une Jeannie Longo. J’exagère un peu, mais il est vrai que depuis  un certain jour de Juin 2003, où je l’ai entendue dire que le vélo c’était fini pour elle, je n’ai plus fait avec elle que quelques rares randos improvisées mais réussies. Alors j’attends que ça revienne, et quand je sens le bon moment je prépare sa monture et ça repart pour une petite période de quelques centaines de kilomètres. Hier j’ai donc soigné un vélo ramené du Nord la semaine dernière et ce matin il était prévu de se remettre en selle. Mais il n’y a pas que le vélo qui est revenu du Nord, le vent aussi. Résultat, je partirai seul cet après midi. Pas grave. Il reste quelques semaines avant notre départ en vacances et une préparation en douceur devrait suffire. Car nos vacances à deux, ont les a toujours négociées un vélo dans les bagages. Pour nous pas de bikini, on n’aime pas, c’est tout. Moi, j’ai préparé ma seconde incursion dans le Cézallier pour samedi prochain, ce qui devrait me permettre de m’enfoncer un peu plus dans ces grands espaces, un peu plus dans la solitude aussi, car ce circuit ne traversera que des contrées pratiquement inhabitées. Je passerai 6 cols, et je passerai à proximité d’une copine ayant quitté le Nord il y a 30ans. En fait la sœur de l’ami retrouvé l’année dernière dans les Pyrénées. Une petite visite surprise s’imposera donc. D’ici là espérons que le ciel se dégage, que Fab prenne de bonnes résolutions, que la révolte gronde pour qu’à 60 ans je puisse vaquer librement à mes occupations favorites.

L’incompétence d’Autoroute FM m’a fait perdre du temps, de l’argent et mon calme. Encore une station de moins à écouter. Bigre ! Il commence à y avoir pénurie. Je n’ai rien à ajouter. Trop en colère. Je fais partie des milliers d’automobilistes qui se sont vus coincés dans la banlieue parisienne samedi à 9h du matin alors que la dite radio annonçait les déviations vers 11h, heure à laquelle nous sortions de l’enfer. Je fais partie des pigeons qui n’ont pas pu emprunter samedi l’autoroute vers Cambrai pour cause de travaux, et qui ont entendu cette info que le LENDEMAIN DIMANCHE sur le chemin du retour, tout en regardant les bulls travailler sur la voie inverse. C’est le tiroir caisse de l’agence de location de véhicule qui a bien rigolé ce matin…allez je prépare mon vélo pour retourner au paradis. 

Le vélocipédiste est toujours en phase de récupération. 7h de vélo en montagne ça marque un peu quand même, surtout si on a pas effectué de grands entraînements avant. Malgré tout, je ne m’en sort pas trop mal. Plus ! je suis déjà entrain de préparer mes futures escapades sur ce plateau magnifique qui ne me sort pas de la tête depuis que j’y ai laissé un peu de ma personne. Mais pour ce week-end c’est un autre voyage qui m’attend. Un aller retour vite fait entre le Nord et ici, pour finaliser un déménagement qui, tout compte fait aura duré trois ans et demi ! Cela me permettra de décompresser un peu plus, d’avoir les idées ailleurs, de ne pas penser à cette longue échappée que je devais faire dans les alpes le 20 juin, et que je dois remettre une fois de plus n’ayant pas assez de réserves pour affronter ces montagnes d’un autre ordre…Mais les bonnes sensations reviennent, il m’aura fallut trois ans de patience et surtout de fidélité à ce bout de ferraille que l’on appelle vélo pour de nouveau faire naître en moi ces envies d’absolu. Il faut le temps qu’il faut…

Vite remontez moi là-haut...

Le lundi matin, les idées restées là-haut, j’ai pris le chemin du boulot, sans conviction. Ca a commencé fort, une centaine de mètres plus loin. Bon père de famille, avec ses deux mômes à l’arrière, m’a doublé en trombe dans un virage. Puis je l’ai suivi pendant trois kilomètres, écœuré. Bon père de famille ne saura jamais. Samedi, dans mon paradis vert, j’ai croisé cinq voitures en sept heures. Un troupeau de vaches, deux cyclistes et des oiseaux…Et un taureau qui faisait attention à sa famille, lui.