Je suis certain d’avoir senti quelque chose. Un léger déplacement d’air, la caresse légère d’une aile invisible. Je n’ai pas cherché à savoir, certain au fond de moi que je n’étais pas seul à cet instant précis. Ce fut rapide et unique. J’ai simplement baissé la tête et fermé les yeux pour m’imprégner de ce moment magique. Il y a des histoires qui commencent comme cela. Et qui ne finissent jamais, car l’inexplicable ne tolère pas la fin. Il y aura toujours d’autres questions, sans réponses, d’autres évènements secrets que notre pudeur et notre timide assurance nous empêchent d’avouer. Quand nous devenons adultes, nous perdons je crois ce sens de l’irrationnel pour ne voir qu’un modèle de monde : celui qui nous rassurera le reste de notre vie. La question est de connaître le moment où la transition s’effectue. Ces sons inconnus, ces frôlements soudain, ces visions indistinctes, sont-ce là que le prix qu’il faut payer en les abandonnant le jour de notre passage à l’état d’adulte ? Je suis certain qu’il s’est passé quelque chose ce jour là. Seul dans la petite pièce. La lumière s’est mise à clignoter irrégulièrement, puis s’est stabilisée, en parfait état de marche. Je n’ai pas cherché à savoir, certain que je n’étais pas seul. J’ai simplement baissé la tête et fermé les yeux pour m’imprégner de cet instant tragique.
Et depuis j’écoute. Je cherche des yeux ce que le monde autour de moi veut bien me laisser deviner. Je prie aussi. Quand mes forces m’abandonnent, j’appelle de toute mon âme l’innommable secours. Seul dans le silence d’églises trop froides, je réchauffe mes peines dans des abandons irraisonnés. Attendant quelques signes improbables, je scrute les parois humides transpirant les larmes fantomatiques de visiteurs disparus, ressentant au plus profond de mon âme leurs tristesses inavouées. Et quand les pas hésitants et craintifs d’un être désemparé s’avancent en résonnant dans ce volume de pierres glacées, je laisse la place, cachant honteusement ma folie salvatrice. Il n’y a pas de place pour deux dans le royaume du vide. J’écoute mais je vois aussi. Je vois ce qu’aucun rêve, si proche d’une réalité soit-il, ne pourra jamais me montrer. Je vois en marchant, je vois en travaillant, je vois en mangeant, je vois toujours. Il a la vision de la vie, là devant moi, mais entr’elle et ma perception visuelle, il y a comme un second plan. Comme des ombres qui se glissent furtivement entre moi et la réalité concrète et rationnelle des choses. Ce sont des instants d’absence qui pourraient être simplement l’inattention mais qui semblent ressembler plutôt à une perception bien plus sensible qu’il n’y paraît. J’aimerai tendre une main et toucher cette douce brume intime, mais ce simple geste perturberai le regard sérieux et convenant qu’ont envers moi ceux qui m’entourent.
Alors, il ne faut rien dire, garder sous silence cette dimension toute personnelle d’un monde qui m’accompagne. S’occuper. A regarder dans les formes des nuages si aucune figure ne nous dévisage, à deviner dans les premières lueurs de l’aube une naissance ou une résurrection impossible et dans les couchers de l’astre céleste, un simple endormissement récupérateur. S’occuper et attendre.
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