Un jour, nous avions des enfants. Trois. C’était pas toujours facile à la maison, mais dans l’ensemble, on peut dire que nous avons passé de chouettes moments. Nous formions une petite famille tout ce qu’il y a de plus traditionnelle et nos espérances nous prolongeaient vers un avenir simple et logique. On se préparait doucement, 10 ans après notre mariage et quelques années après la naissance du petit dernier, à accuser le coup de leur départ de la maison, dans une vingtaine d’années. Tout faux. En fait, la Vie est bien plus inattendue que ce que l’on peut croire. En une quinzaine d’années tout a été balayé, détruit, dissout. Tiens, je regardais ce midi encore, alors que je nourrissais mon ulcère d’un délicieux hamburger/frites au Quick du coin, ces couples accompagnant leurs enfants à leur cantine préférée, en me disant qu’il aurait été si facile qu’il ne se passe rien pour que nous puissions, à la cinquantaine, accompagner, légitimement, nos petits-enfants pour un déjeuner en paix dans les piaillements joyeux et innocents d’un fast-food multicolore. Nous étions attablés, tout occupés à empêcher les tonnes de sauce de passer la frontière de nos lèvres gourmandes, et mon regard a croisé celui d’une jeune maman enceinte de quelques mois, tenant fermement la main d’une petite fille pressée et sans doute affamée. Cet échange ne dura que quelques secondes, indifférentes pour elle, mais qui me perturbèrent un bon moment. Je tournai vivement la tête du côté de la vitre pour ne pas entretenir une quelconque tristesse, et dehors, couchée sur un banc, c’est une autre petite fille, plongée dans un monde inaccessible pour nous adultes, qui nous dévisageait. Y’a des fois où les épaules nous pèsent sans que l’on en connaisse exactement la cause. Ca pèse, c’est tout. Et puis ça fait mal aussi dans la nuque, d’ailleurs on baisse la tête. Et on ressent le Vide. L’Absence. Nous en avons passé des moments au fast-food. C’était quand nous étions cinq. Trois plus deux. Les deux plus jeunes s’arrangeaient pour se mettre l’un en face de l’autre, concour de grimaces oblige, le grand faisait l’arbitre et nous les philosophes. Moi, comme ce midi, je regardais ces gens qui entraient dans la salle, couples jeunes bien souvent qui s’avançaient vers le comptoir sans trop savoir ce qu’ils allaient prendre, et moi je me demandais ce qu’ils allaient devenir, pas à cause de leur choix culinaire, simplement parce qu’ils m’intéressaient. Pour prédire l’avenir, je regarde les chaussures, pas la bouffe. Nous, pratiquement tous les cinq, on portait des tennis, et encore aujourd’hui, j’ai bien du mal à m’en défaire. Tant qu’à faire. Il faut rester soi-même.
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