VU DU BALCON : ARCHIVES

Elle me fait rire et m’étonnera toujours. Assise sur la canapé, le nez plongé dans son tricot et la télé qui marche, on se demande bien pourquoi.  Si j’ai le malheur de poser une question, elle me rétorque chut, j’écoute. Et la paire de chaussettes avance, lentement, au rythme de ces soirées d’automne qui s’avancent. De temps en temps, de la chambre où je pianote d’un doigt hésitant sur un clavier démodé, j’entends la porte de l’armoire s’ouvrir doucement et un bruit caractéristique de paquet de friandises monte jusqu’à mes oreilles encore bien  vigilantes malgré leur âge. Alors je lance un :« doucement le chocolat ! », et un rire  menteur me répond : « un seulement »… Elle s’est déjà arrêtée de fumer, je vais pas la priver de chocolat. Le chien, dans le panier, roupille, roulé dans ses poils encore tout emprunts des odeurs de la promenade du soir. Dehors, c’est le silence. Un silence d’altitude, froid, sain, inquiétant parfois. C’est une soirée d’automne sans cheminée, dans le confort d’une vie que l’on s’est reconstruit petit à petit, simplement. Et tant qu’il y aura des chocolats dans l’armoire, les jours et les nuits passeront ainsi, allègrement, savoureusement. Parfois amèrement aussi. Tout dépendra du chocolat.

L’hiver qui approche, qui sera donc notre quatrième ici, à Paugnat, m’inquiète un peu. Je me suis entendu dire hier à des amis : « Nous avons fait le tour de la question, nous sommes bien décidés à retrouver un peu de chaleur… ». Oui, je suis peu enclin à subir les tourmentes hivernales qui approchent et un peu de tranquillité à ce sujet me satisferait bien. Ce qui me dérange n’est pas tant la neige et ses désagréments, ce sont ces journées froides et humides, avec ce couvercle de nuages stagnant sur le pays, un peu comme chez nous là-haut dans le Nord, où nous restions parfois  plusieurs jours, le moral miné, sans apercevoir un seul coin de ciel bleu, sous une lumière blafarde et cruelle. Et, m’étant longuement penché sur le problème durant l’année qui vient de s’écoulée, je me sens prêt maintenant à faire le pas, quitter cet environnement qui a abrité nos peines et guéri notre désarroi. Reste à choisir un autre lieu de vie, où cette chaleur recherchée, une lumière plus présente ne seront plus un souci mais de précieuses  alliées sur lesquelles nous pourront coucher nos fatigues passagères. Si c’est pour ne plus ressentir le besoin de proximité de cette nature bienfaisante et vivre dans l’indifférence de ce qu’elle nous apporte, mieux vaut en changer, mieux vaut s’éloigner pour mieux la désirer de nouveau. Cette fois je suis bien conscient que cet hiver qui s’avance ici sera le dernier, et chaque promenade devient une occasion de m’imprégner pleinement  de tout ce qui nous a fait renaître. Préparés, nous pourrons continuer à avancer.

La porte.

Les cauchemars ne font pas partie de mes nuits. Par chance, je ne suis pas sujet à ce genre de rêve, et, bizarrement, je ne m’en suis jamais étonné, j’aurais dû. Car la nuit dernière j’ai reçu la visite d’une étrange Dame, qui, immobile dans l’encadrement de la porte de la chambre, me fixait d’un regard inquisiteur et funeste. Moi, allongé sous les couvertures comme l’enfant cherchant à se protéger du Mal, j’observais cette forme plantée dans la pénombre de la pièce, terrorisé, me demandant bien ce qui allait se produire. Je me suis réveillé. J’ai eu peur de regarder vers la porte, qui était bien fermée. Une longue sensation de froid m’a glacé l’échine, et dans la journée, chaque fois que j’ai pensé à cet événement, la même impression de froid m’a traversé du haut en bas. Ce soir je n’arrive toujours pas à me défaire de cette image. Bon j’espère simplement que ce genre d’expérience restera unique et que les visites ne se répèteront pas. Voilà ce que c’est que de parler de spectres à tout va, là où des mots exprimant la beauté, le calme, la contemplation seraient plus appropriés. Mais mon goût pour les choses mystérieuses, inexplicables, irrationnelles prend une grande part dans l’idée que je me fais du monde qui nous entoure. Il faut dire aussi que j’ai parfois assisté à des situations bien déstabilisantes dont j’ai témoigné dans ce blog, à ses débuts. C’est qu’il doit y en avoir dans cette petite tête! De quoi faire concurrence à Mr Poe. Et si ce genre de phénomène se répétait, je crois que je n’hésiterais pas à coucher sur papier ces drôles de sensations qui m’ont traversé aujourd’hui, de nouvelles nouvelles extraordinaires en quelque sorte…     

Il était une petite fois, Petite Voix.

Jules m’a donné un mal de crâne terrible. J’avais déjà essayé « De la terre à la lune » sans avoir réussi à passer le tiers du bouquin. « Avec Vingt mille lieux… » je suis arrivé au deux tiers. Mais épuisé, j’ai renvoyé le livre au chaud entre ses collègues plus fortunés que lui. Dans le style « étalage de culture », j’avais eu ma dose avec les Rougons Macquart, pour lequel Monsieur Zola s ‘amusait durant des pages complètes à nous décrire des environnements où l’on finissait par se perdre d’ennui ( je me souviens de la description du jardin de l’abbé Mouret…). Mais passionné par cette saga familiale j’avais été au bout des vingt volumes, zappant, et je m’en excuse, quelques dizaines de pages pour éviter la torpeur d’une lecture trop lourde. J’étais jeune à l’époque, et ma foi, j’espérais bien le rester le plus longtemps possible. Dans la foulée, pour me purger de cette assiduité littéraire, j’avais lu quelques Djan qui m’ont rassuré sur mon niveau intellectuel. Hier soir, voulant rester quand même dans la même époque et pour ne pas souffrir des nausées dues à un trop brusque voyage au travers de l’espace temps, j’ai sorti « La petite Fadette », qui devrait me ramener en douceur sur ma planète imagination. A part ça, la vie continue sous un mois de Septembre beau comme à son habitude, depuis que nous le vivons ici. Le blog atteint allègrement sa quatrième année sous l’œil fidèle et attentif de quelques lecteurs assidus. De temps à autre, lorsque notre fournisseur pense à réparer sa liste de mise à jour, il m’arrive d’avoir quelques pointes de visites avec au passage quelques mots gentils et sincères. Et depuis quelques mois j’ai deux fidèles lectrices, dont je ne cherche pas à découvrir les secrets mais que je visite également, et j’éprouve un sentiment bizarre de reconnaissance profond pour ces inconnues qui me soutiennent dans cette lourde tâche qu’est l’écriture autodidacte mais jamais inutile d’une tranche de vie. Il y a également les membres d’une famille laissés là-haut dans les frimas nordistes et avec qui le lien ainsi tissé m’aide à supporter la dure réalité de l’émigration. Je sais que Petite Voix va me lancer son jeu de mot souriant, que Sonia (Il était une petite fois) cherchera à élucider le sens que chaque chose porte en elle, que frère, neveux et nièces attendront de bonnes nouvelles, s’inquiétant de la moindre allusion à une quelconque tristesse. Z’en faites pas…tout va ben, y’a rien qui va mo, comme on dit à Maubeuge. Sacré Jules Verne va…Mais quand même il aurait pu développer un peu plus son fameux capitaine Némo. Dans lequel je me retrouve un peu…Mon Nautilus à moi, c’est mon vélo.    

Je suis parti ce matin en promenade avec le chien, pensant revenir après une petite heure de marche. Je me suis enfoncé dans la forêt, empruntant un sentier balisé, dans la fraîcheur d’une petite brume qui me fit relever le col de mon pull, les premiers frimas sont parfois surprenants par ici. Les douces mélodies de Moby m’accompagnaient et malgré un réveil bien matinal, je me sentais en pleine forme. Pyrus également car il me devançait d’une cinquantaine de mètres, comme à son habitude lorsqu’il quitte ses itinéraires habituels. Je marchais et je n’avais pas envie de m’arrêter, je n’avais qu’à suivre les balises de ce sentier de randonnée, déjà parcouru en début d’hiver, là même où j’avais trouvé une si belle lumière et mes spectres. Mais ce matin, le soleil timide n’arrivait pas à se frayer un chemin à travers les branchages et la légère couverture brumeuse. Qu’importe, je marchais dans des allées de sapins, au sein d’une verticalité impeccable, ce qui me changeait un peu de ces souvenirs d’horizontalité rencontrés lors de mes randos à vélo cet été dans le Cézallier. Et je marchais. Je décidais de faire le parcours dans sa totalité. Trop bien j’étais. ( !). J’ai essayé de retrouver mes spectres, sans résultat. C’est fou ce que la nature peut nous induire en erreur autant qu’elle a le pouvoir de nous indiquer la route. J’ai traversé quelques endroits un peu plus clairsemés ou je me suis imaginé des jeux d’enfants dans les bras puissants de chênes sans doute plusieurs fois centenaire. N’y connaissant pas grand chose, je ne m’avancerai pas plus. Au bas d’une petite pente, à travers les branchages et à une petite centaine de mètres devant moi, j’ai cru apercevoir une forme bouger. Quelques minutes plus tard je croisai l’immobilité stoïque d’un garde forestier, fidèle à son poste la veille d’un jour de chasse. Et soudain je me suis aperçu que je découvrais de nouveaux lieux. J’ai cherché les balises jaunes sans résultat, inquiet, mais Moby m’a vite rassuré. Le chien aussi. J’ai donc continué sur le sentier inconnu me fiant à mon sens de l’orientation essayant de retrouver un Nord perdu voici 4 ans déjà. Après un détour de quelques kilomètres j’ai retrouvé ma route, le chien ne s’est douté de rien mais trottinait maintenant plus près de moi, sans doute ses petites pattes de 77 ans en avaient-elles un peu marre. N’est pas Milou qui veut. Ni Tintin. Nous sommes rentrés sans encombre, deux heures et demi après notre départ, à une vive allure, heureux de cette mésaventure enrichissante. Je n’ai pas retrouvé mes spectres, mais qu’importe, je sais qu’ils sont là, tout près, à portée de promenade. Un de ces quatre matins, j’irai les retrouver, un matin de franc soleil, Moby dans les oreilles et mes photos seront belles. Il suffit simplement d’attendre le moment.

Donc, la souris blanche est venue et s’est volatilisée. Durant quelques jours j’ai visité l’endroit où je l’avais laissée avant sa disparition, mais rien. Elle restera le mystère de ce début Septembre 2010. Quant à moi, je viens de prendre dix ans à cause d’une coupe de cheveux que je ne désirais pas vraiment. J’avais pour une fois la chance de me faire coiffer par la patronne, brave femme souriante et pas bileuse pour un sou qui me laissa à plusieurs reprises sur le fauteuil d’exécution pour aller répondre au téléphone. La dernière fut la meilleure puisque je dus poireauter une bonne dizaine de minutes pendant qu’elle s’expliquait vaillamment avec son fournisseur de cuisine équipée. Lorsqu’elle revint à ma tonte je dois dire que je n’en menais pas large. Plusieurs fois j’ai eu peur pour la bonne santé de mes oreilles et leur utilité si précieuse. Je regardais, effrayé, les ciseaux aller et venir en compagnie du peigne sur mon crâne déjà bien dégarni et, de ce fait, n’osais pas lui demander de ne pas couper trop court. La bonne dame était bien trop occupée à m’expliquer ses déboires financiers avec ses fournisseurs sans scrupules qui demandent toujours à être payés avant que le travail soit fait. En ce qui me concerne, moi, je lui aurais bien donné un pourboire pour qu’elle arrête son travail, pour lequel elle se donnait si amoureusement d’ailleurs. J’ai observé, impuissant,  dans le miroir le changement s’opérer petit à petit. C’est fou comme on peut vieillir vite assis sur un fauteuil de cuir. Et je me suis souvenu…C’était une chaude journée d’août 76. Je regardais, fataliste, mes longs cheveux tomber sur le ciment sale d’un salon de coiffure improvisé dans une caserne perdue au milieu de nul part. Ce jour là ils n’ont pas eu ma moustache. Je l’ai rasée moi-même, un an après. Mais hier, pas de moustache. Rien que le miroir qui me reflétait la réalité des faits : une calvitie bien avancée, des lunettes et un appareil dentaire. Et encore…je ne parle que de l’apparence. Mais comme on dit, faut pas s’y fier. N'empêche, sur quatre ans, ça fait beaucoup quand même.  

J’ai assisté, hier, à l’agonie d’une souris, blanche. Je balayais (ben oui, encore) la plate-forme de chargement lorsque mon attention se porta sur une petite forme blanche qui se déplaçait par saccades régulières sur le ciment poussiéreux. Je cru tout d’abord à une boulette de papier poussée par les courants d’air. Je m’approchai et reconnu la silhouette caractéristique d’une petite souris, qui avait bien du mal à se situer  dans cet espace sombre et encore silencieux à cette heure de la matinée. Je remarquai vite les mouvements rapides de sa petite poitrine et son immobilité devant moi, sans crainte aucune, me porta à croire que ce petit animal était bien mal en point. J’approchai doucement le bord de ma pelle et du bout de mon balai poussai la malade dedans. Je me suis dirigé vers l’extérieur et doucement je l’ai déposée dans un endroit tranquille. On n’aime pas être dérangé quand on meurt. Plusieurs fois dans la matinée je suis revenu la voir, et devant cet animal, dont la respiration de plus en plus rapide ne laissait rien présager de bon, je me suis senti démuni, triste, vaincu une fois de plus.  Dans l’après-midi la souris avait disparue, et je me suis réjoui de savoir qu’elle avait pu choisir un autre lieu pour terminer sa vie. Peut-être était-elle simplement malade. Je ne sais. J’ai fais ce que j 'ai cru bon  de faire. Et cette nuit j’ai rêvé de mes enfants.

Ils ont dit que l’automne serait là en début de semaine. Je me suis donc employé ce matin à rendre une petite visite au Paugnasé, pour voir si ces deux mois d’été n’avaient pas trop abîmé ses pentes raides et craquantes sous le pied. Le soleil était déjà bien haut. J’ai ramassé quelques vieilles branches qui empêchaient une progression régulière et sécurisante et ma foi, je me suis dit, qu’à part quelques endroits qui mériteraient un peu plus d’entretien, les sentiers menant au sommet étaient prêts à affronter les premiers frimas. L’automne est sans doute la plus belle saison ici. Les couleurs, les odeurs, les ambiances brumeuses, tout concorde pour faire de cet environnement un endroit propice à la méditation ou simplement aux longues escapades contemplatives et revivifiantes. L’été ne se prête pas à cette surabondance de végétation, et l’atmosphère que l’on y respire semble parfois saturée, poussiéreuse, sans âme. La lumière semble ne pas remplir son rôle, sauf au petit matin ou lorsqu’elle est atténuée de lourds nuages donnant du contraste aux paysages. L’hiver bien sur, c’est un autre pays qui nous entoure, quand la neige transforme les moindres contours des sentiers et du relief, au point de faire douter le plus doué des randonneurs sur sa position géographique. Quand au printemps, c’est un peu un trait d’union qui ne donne pas le meilleur de lui même ici, sans doute à cause, encore une fois, de l’abondance et la proximité envahissante des forêts environnantes. L’automne colorie, éclaircit, embaume toute cette nature qui révèle alors tous les mystères que notre imagination veut bien y trouver. Et mon dieu, je suis prêt à subir ces quelques degrés en moins qui vont en faire râler plus d’un, en échange des merveilles que la saison prochaine nous apportera bientôt. C’est ce à quoi je pensais, ce matin, là-haut, du haut du Paugnasé, pendant que le soleil enlevait délicatement les derniers voiles de brumes recouvrant la Plaine de Limagne, là-bas tout au fond, vers l’Est. 

Child in time.

Ce matin je pensais, en balayant les abords de mon lieu de travail, MP3 sur les oreilles, écoutant « Highway Star de Deep Purple » : je crois que sur ce plan, j’ai réussi ma vie. 53 ans, pas de Rolex au poignet, mais la capacité, 40 ans plus tard, de siffler note pour note le chorus de guitare du dit morceau. Et croyez moi, ce solo, ça filait droit et juste. Comme à vingt ans, lorsque je balayais la sciure de la charpenterie où je faisais mes armes, j’étais capable d’anticiper les intro des morceaux qui se succédaient dans ma boîte à musique. Made in Japan, album que l’on se repassait en boucle et dont les sillons se creusaient irrémédiablement sous l’aiguille fatiguée du pick-up. Le soir en promenant le chien dans la pénombre des sentiers, j’en étais à « Lazy ». Et pendant que les chevreuils, les écureuils, les oiseaux, les chiens, les renards, les loups, les mammouths se pressaient autour de moi pour attirer mon attention, je marchais tête basse écoutant ce long morceau jazzy, les cheveux en moins, mais les doigts toujours tapotant le long de ma jambe pour chaque touche de guitare jouée. Sans aucune faute. Je n’ai jamais su aligner deux notes de solo sur ma guitare à vrai dire, mais les imaginer, ça je savais faire. Même sans guitare. Je suis rentré et j’ai fait la remarque à Fab : il n’y a pas beaucoup d’animaux dans le Puy de Paugnat en ce moment. Sur qu’à m’entendre siffler comme cela, c’est pas demain la veille que je les ferai sortir de leur tanière.