J’ai fermé le dernier album photos et j’ai aussitôt ressenti
une profonde lassitude. Je suis resté un long moment à regarder ces recueils
d’images glacées, étalés sur le lit, leurs couvertures plastiques abîmées par
un trop long séjour au fond d’une armoire. Je ne les avais pas ressortis depuis
que nous sommes ici, simplement parce que je n’en ressentais pas l’envie. Perdu
dans de vagues pensées, j’ai méthodiquement remis les albums dans l’ordre pour
les remettre dans leur carton. Trente-cinq années venaient de défiler sous mes
yeux. L’adolescent, le bidasse, les copines, les copains, puis le premier
enfant, une vie qui sème ses petits cailloux sur le sentier dont on ne connaît
pas l’issue. Puis vient le visage d’un second bébé et je remarque que les photos
sont moins nombreuses. Fêtes de famille, nouvelle maison, les copains musicos,
puis troisième visage de bébé. Et les photos affluent de nouveau, les trois
ensemble, terminant ainsi la tri logique. Vacances, fêtes de famille encore,
les Noëls se succèdent. L’aîné grandit, ses frères aussi, mais les visages
changent, les joues se creusent. Puis le grand-père n’est plus sur les photos.
Personne ne pourra me dire pourquoi. Les copains s’éloignent de plus en plus,
de photos en photos, le grand ado que je suis figure bêtement auprès de l’aîné
qui perd petit à petit son sourire au rythme des années scolaires qui
s’enchaînent sans motivation. Puis viennent les derniers Noëls, les semblants
de réjouissance dans une famille agrandie par de nombreuses naissances, mais qui
ne se remet pas de l’absence du grand-père, du père, du fils. Puis les joues
creuses et les sourires fatigués se font de plus en plus rares de pages en
pages et soudain au détour d’une image sans intérêt le temps semble s’être
arrêté. Après je ne sais plus très bien ce qui s’est vraiment produit.
Je me suis tourné vers l’écran du PC, me rendant compte qu’à
l’époque où les albums se sont arrêtés c’est un univers virtuel qui a commencé
pour nous. Fatigué et déçu par tant d’absurdités, je me suis couché, me
plongeant dans la lecture difficile de George Sand. Je n’ai pas entendu ma
compagne se coucher.
"Une photo ? C'est l'instant qui s'arrête, les sentiments qui demeurent et la vie qui s'en va."
Rédigé par : Sonia | mardi 16 février 2010 à 22H22