« Seb, regarde un peu le père, on dirait que quelque chose ne va pas trop bien depuis quelque temps… »
Alors le petit frère écouta son aîné et du haut de son vaste ciel invisible plongea du mieux qu’il le pu dans les pensées destructrices de son père. Il y trouva une grosse fatigue, une lassitude lourde et paralysante, une espèce d’abandon de l’esprit devant tant d’années à venir.
Dam avait raison, quelque chose clochait. Ce n’était pas le moment de se faire oublier, pas encore. Tranquilles depuis qu’ils étaient à nouveau réunis dans un univers fait à leurs mesures, loin des terreurs et des angoisses d’une Vie qu’ils n’avaient en définitive pas choisie, l’heure était venue de faire parler d’eux, de se rendre utiles là où ce serait nécessaire. Ce que voulait leur père n’était pas bien compliqué et sans doute réalisable pour deux petits anges comme eux : il voulait parler, leur parler.
Le temps s’était écoulé, de manière bien constructive. Etapes après étapes, le changement s’était opéré sans jamais laissé la moindre place au doute. Les souvenirs matériels d’une période de leur existence s’étaient peu à peu dissous dans un tourbillon d’espoir et d’oubli forcé, à grands coups de découvertes de toutes sortes dans ce nouvel environnement qui était le leur aujourd’hui. Parents perdus au seuil d’une vieillesse toute proche, ils avaient choisi de se battre jusqu’à ce que le calme reprenne possession de leur être intérieur, simplement. Les dernières touches de ces nouveaux lendemains tant attendus venaient peu à peu terminer le tableau qu’ils oseraient peut-être un jour exposer au grand jour.
Il faut raconter autrement à présent. Sans queue ni tête, sans doute. Il faut essayer d’ouvrir d’autres portes, faire vivre des sentiments difficiles à transcrire, car emprunts d’une certaine folie dont nous n’avons pas à avoir honte. Il faut arrêter les témoignages, mais raconter ce que notre imagination produit suite à cette histoire folle mais vraie. Car c’est l’imagination qui nous porte, bien au-delà des réalités des conséquences de nos faits et gestes. Je crois que si je ne m’étais pas laissé porter par mon imagination, je n’aurais pas eu la force de vaincre ces deux années. Ainsi, c’est grâce en ma capacité de croire en leur Présence à mes côtés, à chaque seconde, que j’avance. La semaine prochaine, je vais signer mon embauche. Lorsque le directeur m’a appris cette nouvelle, je me suis revu il y a deux ans dans cette fonderie noire et froide, me disant que le meilleur aller venir. Puis à l’emballage de ces tonnes de pneus me disant que ma place n’était pas là, que je devais arrêter. Et me voilà dans ce travail sans prétention qui me libère totalement de toute chaîne. Oui, je préfère croire en l’invisible et écouter inlassablement les petits conseils de « l’autre côté ».
« Tu sais, Dam, je crois que le père il y va un peu fort par moment….mais tu te rappelles, il a toujours été ainsi…mais c’est pas le moment de le laisser tomber. »
« Ok, Seb. Alors on gère. Mais dis-moi, va falloir qu’on parle tous les deux…Comment tu l’as vécu ton voyage jusqu’Ici ? »
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