Notre instinct naturel nous force à oublier. Si nous supportons les premiers moments d’un drame personnel, petit à petit on s’aperçoit que la douleur nous quitte pour faire place à un état de vagabondage spirituel dont on a bien du mal à se passer. Je me rends compte que même si le cours de la vie reprend ses droits, je n’accepte pas le fait d’oublier totalement ce qui était ma Chair et qui n’existe plus aujourd’hui. Ce n’est pas une bonne chose, je le sais, que de se tourner vers des moments d’existence qui altèrent une recherche de bonheur, si précaire soit-il. Je n’y peux rien, je suis ainsi, je l’ai toujours été. Je n’ai jamais vraiment profité des véritables moments de bonheur qui m’ont été offerts. Lorsque tout allait trop bien, je cherchais la faille, le petit dérapage qui allait me mettre en situation périlleuse, voire dangereuse. J’ai longtemps joué à l’équilibriste et ce soir je sens poindre en moi un besoin de repos et de tranquillité. Pourtant j’attends la fin de journée avec impatience pour me réfugier dans ces souvenirs qui m’apaisent mais me torturent en silence. Ainsi hier soir je relisais des notes que j’avais écrites au lendemain de la mort de Sébastien. J’ai relu ces phrases nées de l’ignorance dans laquelle nous baignons quant à la cause de ce décès. J’ai ressenti cette colère face au silence des médecins, à leur méconnaissance du sujet. J’ai relu ces mots écrits avec l’écœurement de ne pas avoir été à la hauteur de la situation. J’ai compris que le recul nécessaire avait eu raison des mauvaises décisions qui auraient pu être prises à cette époque. Et puis je me suis aventuré à relire ces derniers moments d’une petite vie et j’ai compris les maladresses avec lesquelles j’ai répondu aux signes évidents que me lançait inconsciemment un enfant sentant son corps changer et essayant de nous le faire savoir. Déjà 4 ans. Tout ce recul m’a permis de mieux apprécier la situation afin d’accompagner Damien dans sa révolte face à la maladie. Il me reste de tout cela une peine que je recherche quand tout va bien, seule lien qui me rapproche d’eux. Cette peine est une force qui me sert à chaque instant. Si elle n’existait pas, je serais comme l’animal qui oublie malgré lui une présence disparue, guidé par son instinct de survie. J’en reviens donc au début. Mais je ne veux pas être un animal.
Commentaires