2h30.Fin de ma nuit. Je m’en doutais bien un peu. J’attends
3h30, faut pas pousser. Puis je me lève, il fait doux dans la maison, le chien
me suit des yeux, pressentant l’événement pas ordinaire. Il paraît que c’est
notre peau qui diffuse ces signaux. Je prends un copieux petit’dej dans le
silence à peine troublé par les soupirs résignés du chien. Sentant ma tête un
peu lourde du stress provoqué par ce
réveil inaccoutumé, j’avale une demi-aspirine, ça peut pas faire de mal. Puis
après avoir fait l’inventaire de mon attirail, je vais les poser à l’avant de
la voiture. Dehors la douceur est exceptionnelle pour l’altitude, j’aperçois la
masse fantomatique du Puy de Paugnat, seul témoin à cette heure de ces
mouvements nocturnes, et relevant la tête, je plonge mon regard dans ce ciel
étoilé aux milliards d’autres présences dont deux doivent s’amuser de voir leur
père si pressé de redevenir un enfant. On n’est jamais vraiment seul quand on
choisit sa nuit. Je rentre et monte me raser, sans faire de bruit. Je veux partir
propre. Je tiens cette habitude d’une scène du film « Le salaire de la
peur », lorsqu ‘un des acteurs se rase dans la cabine du camion,
suivant les conseils de son père, qui lui suggérait de toujours se présenter
propre devant l’Eternel. Puis le camion explose. A 4h30 je quitte Paugnat. Sur
les hauteurs de Clermont je m’émerveille une nouvelle fois de cette plaine
embrasée, comme une mer de diamants, les uns plus étincelants que les autres.
Je passe devant mon lieu de travail, il est 5h, les gars ont fini leur nuit, il
vont pouvoir aller se reposer d’un lourd sommeil mérité.
Puis je prends l’autoroute vers le Sud. Sur ma gauche
l’horizon commence à rougir, le long ruban défile dans la pénombre, au son de
quelques mélodies de jazz. Je perds le contact, je change de station, ils sont
déjà entrain de parler des malheurs de notre planète, je ferme aussitôt. Je ne
laisserai personne me gâcher cette journée. Vers 6h j’arrive à destination, à
St Floret, petit village classé au bord de la Couze Pavin. C’est ici que Fab venait
passer ses vacances fastidieuses lorsqu’elle était enfant. Je me prépare, avale
une banane et un demi litre d’eau, repère le chemin à prendre, et par sécurité,
demande à un pêcheur si je prends bien la bonne direction, il confirme, restant
un moment étonné devant moi, se demandant pourquoi je pars de si bonne heure
vers ces hauts plateaux.
Le jour peut se lever, l’aventure commence…
Les premiers kilomètres sont difficiles, tout en côtes très
raides, je dois m’arrêter à chaque intersection pour regarder la carte et, de
ce fait, couper mon effort. Je vais grimper ainsi durant quinze kilomètres,
sans échauffement préalable, et la banane est déjà dans mes chaussettes. Bien
vu l’artiste. Sur les premières hauteurs, c’est un panorama sur le Sancy qui m’accueille
et je prends le temps d’apprécier. Et je reprends la route, continuant à
grimper vers ces plateaux, aux « lumières exceptionnelles ». Quelques
bonnes suées plus tard et plusieurs photos, je me laisse dévaler dans la vallée
de Rentières, vers Ardes sur Couze. Cette rivière va
m’accompagner un bon bout de chemin. Je
ne visite pas la ville, sachant qu’il me faut regrimper vers ces plateaux
« aux vastes étendues désertiques ». Et je pédale, et je pédale, dans
la douce mélodie de la rivière, dont le son commence petit à petit à diminuer
au fur et a mesure que je prends de la hauteur. Je bifurque à gauche en
direction de mon premier col que j’atteindrai dix kilomètres plus loin. Je
redescends par la même route et reprends la direction du Cézallier. Je pédale,
je pédale, sur une route encaissée dans une gorge aux pentes rocailleuses. Pas
une habitation, le silence et les virages qui se suivent sans surprise aucune.
Enfin, la végétation s’éclaircit de plus en plus, signe que mon chemin de croix
se termine. Ce doit être ainsi quand on arrive au paradis, il n’y a que de la
place pour vous. Plus un arbre, je passe le dernier hameau, l’air est plus
frais, je croise un troupeau de vaches, dont un bon vieux taureau ferme la
marche, même pas peur ! Et j’arrive dans cette solitude tant attendue,
après 20 bornes de grimpette patiente.
Je téléphone à Fab que je vais rester
ici, qu’elle ne s’inquiète pas, tout va bien, mais ‘y a pas de réseau, je suis
obligé de rentrer. Je roule une heure sur ce plateau au milieu d’une nature
encore intacte, dans une lumière tout en contraste, dans une solitude
incontrôlable. On agit pas comme on veut sur les éléments. A la Godivelle, je
prends un café réchauffé sur le bord du poêle, et après avoir franchi mon
troisième col, je me laisse descendre vers mon point de départ de ce matin. Je
m’amuse comme un gamin, virant, freinant, sautant les bosses, chantonnant des
mélodies à la Supertramp, le vent dans les cheveux, sans casque, faut pas
m’énerver avec ça, vive la liberté ! En repensant au « salaire de la
peur », et ne voulant pas finir comme Montand, je traverse les Gorges de
Courgoul, en pédalant allègrement pour oublier mon mal de fesse, ce vélo ne
vaut pas ma vieille randonneuse, et j’arrive à St Floret vers 13h. une petite
fille s’amuse sur le pont de pierre, et je pense à Fab. Je rentre . C’est fini.
Voilà Sonia, voilà Petite Voix, voilà ceux qui ont bien voulu suivre mon
épopée. Il y en aura d’autres. Bises à tous.
Tu m'as donné envie de retrouver la beauté du plateau ardéchois où je ressentais cette même force avec ces espaces infinis de prairie, l'horizon marqué le bord de la Terre. Je me sentais "au dessus" de tout et de tout le monde, maitresse du monde mais tellement seule...
Mais je crois que j'ai mon compte de solitude finalement.
Très belle aventure, touchante... comme d'hab... Merci pour le partage! Bises.
Rédigé par : Sonia | lundi 07 juin 2010 à 09H46