Après la douche, je me suis appliqué sur le visage, comme
chaque fois qu’il fait aussi froid, une légère couche de crème Nivéa. Et cet
instant a toujours pour moi quelque chose de magique. L’espace de quelques
secondes, je traverse une quarantaine d’années et je me retrouve dans cette
petite maison d’ouvrier, près d’une femme entrain de soigner une peau déjà bien
fatiguée malgré son âge. C’est un souvenir fort, fait d’odeurs,
d’interrogations enfantines, de murmures, et de réponses souriantes. Je me
revois poser délicatement le doigt sur la surface crémeuse et blanche de ce
produit contenu dans une simple boite métallique bleue de forme ronde.
J’imitais ainsi ma mère qui plusieurs fois par jour s’appliquait ce soin sur
son visage, ses mains ses bras, non pas pour satisfaire un besoin particulier
de maquillage mais pour atténuer les souffrances qu’une vilaine maladie de peau
lui occasionnait. L’image revient chaque fois, lorsque devant le miroir,
j’applique sur mon visage ce produit mystérieux, essayant de me souvenir de ces
traits fatigués, usés, qui n’avaient pas ma cinquantaine. Je ressens
l’absurdité de cette fin de vie qui se perdait entre les volutes de fumée de blondes américaines et
quelques verres de mauvais alcool. Et parfois sa solitude semble rejoindre la
mienne, comme pour me rappeler
l’étrange passion qui lie l’enfant à sa mère au-delà des notions de
temps et d’existence. Mais bien vite la crème pénètre ma peau et fait
disparaître cette vision. Dans le miroir, seuls restent les yeux.
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