Nous ne l’oublions pas. Jusqu’ici, j’ai très peu parlé de lui car entre-nous le silence qui s’est installé, ni lui ni moi n’avons la solution pour le combler. C’est l’aîné de la famille, celui que j’ai réprimandé à la place de ses frères lors des bêtises collectives, porté par le sentiment imbécile et d’une autre époque que l’aîné doit montrer l’exemple. Il est loin de nous ce soir et pourtant si proche dans nos silencieuses pensées. Lorsqu’il téléphone c’est toujours sa mère qui lui parle. Je n’insiste pas. Le parcours qu’il a suivi n’a pas été le bon, j’en reste persuadé. Ou du moins il ne l’a pas abordé par le bon côté, se laissant emmener sur des chemins de traverse qui l’ont perdu au milieu d’une jungle dangereuse et sans pitié. Le lendemain de son bac, il a décidé de faire sa Vie en solitaire, ici, dans le pays où nous vivons aujourd’hui. A chaque retour dans notre maison, il marquait de plus en plus profondément sa soif de différence et sa rupture avec nous. Tout en nous témoignant un amour profond et sincère. Paradoxe que je n’ai pas pris le temps de comprendre. Et un matin, j’ai dû lui annoncer la mort de son plus jeune frère, par téléphone. Il n’a rien compris à tout cela, complètement déconnecté de la situation dans laquelle nous baignons depuis plusieurs mois. Un mur d’incompréhensions réciproque s’est élevé entre-nous, prenant de la hauteur au fur et à mesure que nos engueulades stériles nous plongeaient chacun dans son intégrisme sans fondement. Je ne savais pas alors que c’était le début d’un long chemin de croix dont Damien serait l’incontournable et terrible aboutissement. Il nous reste donc Nicolas, dont j’écoute chaque silence comme les secondes muettes qui s’échappent du temps nécessaire au pardon.
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