Je me souviens de ces plaisirs d’enfants en pleine liberté, de ces parties de cache-cache au milieu de cette ère de jeux qui nous paraissait idéale tant il y avait d’endroits où nous pouvions disparaître pour mieux apeurer le petit copain inquiet qui nous cherchait durant de longues minutes. Le moment le plus propice pour ce divertissement était le soir, après le repas, lorsque la nuit tombait doucement sur les pierres grises et massives qui s’alignaient le longs d’allées qui nous semblaient interminables lorsque nous devions nous avancer seuls à travers elles. A cette époque il existait encore des chapelles de pierre qui renfermaient le tombeau de familles fortunées, elles se situaient toutes sur la gauche en entrant dans le cimetière. J’allais bien souvent jeter un œil par les petites ouvertures percées dans les façades de ces petites maisons de mort, espérant peut-être y découvrir un quelconque secret. Ces chapelles ont aujourd’hui disparues, sans doute pour assurer une sécurité, bien inutile du reste, puisque aucun enfant ne joue plus dans cet endroit. Par ailleurs, j’avais une chance inouïe : mon père était fossoyeur, ce qui semblait me donner un statut bien spécial vis à vis de mes amis de quartier. Notre maison jouxtant le cimetière au fond du jardin, il m’était facile de pénétrer ce monde de silence afin d’y jouer seul, à m’inventer des aventures mirobolantes et fantasques comme seuls peuvent en inventer les enfants. Je me souviens être descendu dans un trou immense et de ne pas pouvoir en ressortir à cause d’une terre argileuse et glissante comme je n’en ai jamais vu ailleurs. Je ne dus mon salut qu’à l’inquiétude d’une mère toujours à l’affût de mes bêtises de gosse solitaire. J’en ai passé des heures dans ce lieu de repos. Je me promenais dans les allées, observant minutieusement les inscriptions des pierres tombales, me demandant qui pouvaient être ces inconnus couchés là depuis des années. C’était la rive droite du cimetière, la plus vaste, celle où se côtoyaient les disparus des deux guerres, les simples tombes à même la terre de pauvres gens, les riches caveaux de marbre aux lettres d’or et toujours fleuries. Et il y avait cette allée, tout au bout de ce vaste territoire, longeant le pré où nous jouions au ballon. Je m’avançais sur ce ruban de bitume en regardant les petites tombes, souvent ornées d’un médaillon où luisait le sourire d’enfants trop tôt partis. Quelque part en moi je sentais comme un sentiment d’injustice, de profond écœurement, voir de peur. Il m’arrive de reprendre cette allée et de passer en revue ces vielles tombes abandonnées. Je me demande ce que sont devenus les parents. Je relève la tête et derrière la haie, où il y a tant d’années des parties de ballon occupaient mes loisirs, c’est le cimetière qui s’est agrandi. Et dans cette terre tant foulée par nos pieds d’enfants, reposent deux innocents qui n'ont rien connu de mes parties de cache-cache.
Quel étrange terrain de jeu... Seule la fascination et la légèreté des enfants permettent un tel détournement de ce lieu. Je dois avouer que cette insouciance est assez déroutante!
Rédigé par : Sonia | samedi 24 avril 2010 à 10H57