Il y a certaines chansons que je ne peux plus entendre, je
ne parle même plus d’écoute. Ce ne sont plus des notes de musiques qui
accompagnent des mots ou des phrases qui épousent la mélodie, tout est devenu
image, comme de simples feuilles jaunies par l’imprécision du temps et des
souvenirs. Comme ce disque de 86, pochette en noir et blanc. Je revois ce
poster immense qu’un copain travaillant chez Virgin à l’époque m’avait offert,
agrafé sur le mur et sur lequel venaient s’appuyer de simples étagères de bois
en guise de bibliothèque. Je ressens cette impression de bonheur alors
imperturbable car inconscient. A l’aube de mes trente ans, je savais que plus
rien ne pourrait m’atteindre, les certitudes étaient ma force. Comme c’était
chouette cette revanche sur le passé, non mais, poussez-vous j’arrive…La
guitare était heureuse car je lui changeais ses cordes une fois par mois. Pour
une occas’ trouvée par hasard par petite annonce interposée, elle n’avait pas à
se plaindre d’un pareil traitement, y’avait plus malheureux qu’elle, toutes ces
orphelines pendues désespérément sur les murs trop propres de boutiques
surpeuplées de matos inabordables pour le prix, par exemple. Notre maison était
une boite à musique, sans cesse en mouvement sans exagération malvenue. J’écrivais
des paroles de chansons sans cesse remaniées pour les besoins des groupes qui
se formaient et s’autodétruisaient dans un laps de temps plus court qu’une
saison du calendrier universel. On ne se prenait pas au sérieux, la Vie était simplement une chanson
dont les paroles en langue étrangère n’avaient aucune importance pour nous, le
baragouinage était notre philosophie. Carte d’électeur fraîchement éditée et
bien calée dans un portefeuille râpé, je m’apprêtais à voter pour la première
fois de ma vie, à l’étonnement du secrétaire de mairie qui me croyait au top de
l’intelligentsia de notre village. Je cachais bien mon jeu. Depuis 2002, mon
portefeuille à une place de plus, je me sens plus léger. J’ai pu y loger une
photo. Si certaines musiques semblent ne pas avoir vieilli, elles portent en
elles une désespérance parfois difficile à supporter à leur écoute. Faire
l’effort de les écouter est, en quelque sorte, les remercier de nous avoir tant
donné. Et mes Anges seraient d’accord, sur le fond et sur la forme. Allez, les
Anges, dansez maintenant…
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