Le mardi 28 juillet nous avons traversé les monts arides de l’Ardèche pour rejoindre la région marseillaise. Sur notre gauche, à proximité d’Orange, le Mont Ventoux nous a toisés de ses hauteurs embrumées, comme pour nous donner rendez-vous pour une escapade le long de ses pentes sèches et caillouteuses. Ce rendez-vous aura lieu, mais dans un futur que nous ignorons encore. Nous l’avons laissé derrière nous, continuant notre route, vitres baissées, dans le vacarme étourdissant des cigales, dont le crissement était désormais, omniprésent. Quelques heures plus tard, nous avons traversé Marseille et sa banlieue pour rejoindre Aubagne et les amis qui nous y attendaient. Deux petits jours passés à l’ombre et la fraîcheur de leur appartement, sans envie particulière de sortir dans la fournaise méditerranéenne, nous a fait un plaisir immense. Jamais un quelconque ennui ne fit sa place dans ce moment de retrouvailles, où, le simple fait d’être là, rempli à lui seul l’espace et le temps. Et le jeudi nous avons repris la route vers notre lieu de villégiature, plus au Sud. Nous avons traversé la Camargue et longé les côtes, jusque St Cyprien. J’ai regardé cette mer d’un bleu que je ne connaissais pas, me demandant si je me trouvais face à un lac ou vraiment si c’était cette méditerranée dont on nous disait à l’école qu’elle n’avait ni vague ni marée. Et au début, je n’ai pas aimé. C’est ainsi que naissent les grandes histoires d’amour.
Le vendredi nous nous sommes reposés, nous promenant à pied jusqu’au port, revenant à la nuit tombée. La lune changeait.
Samedi, nous sommes partis à vélo vers le cap Cerbère, extrême pointe de terre du sud de la France. Sur les routes des corniches longeant la mer, j’ai senti naître en moi comme une légèreté inexplicable, je ne me lassais pas d’observer cette mer d’un bleu profond et indescriptible. La route prenant de plus en plus de hauteur, j’ai décidé d’arrêter notre escapade à l’entrée de Banyuls et, revenant sur nos pas, nous avons pris un frugal repas à Collioure. Le cap Cerbère était encore loin, et Fabienne encore « un peu juste », comme on dit dans ces cas là. Mais le contact était établi. Les paysages nous laissaient sans voix. La lune continuait sa métamorphose, plantée dans un ciel d’après-midi sans problème. Le soir la mer s‘est agitée et le vent a monté en puissance. La lune marquait son terrain. Nous, sur le port, en sirotant des cocktails, nous avons laissé filer le temps, dans une griserie libérée de toute entrave.
Le dimanche fut une journée importante. Nous nous sommes dirigés vers Foix, observant au passage ces châteaux Cathares plantés sur ces pics rocailleux, silhouettes étranges chargées d’histoires et d’émotions si bien chantées par Francis Cabrel…Dans un hameau tranquille, près de Pamiers, j’ai retrouvé cet ami qui avait quitté le Nord il y a 33 ans et que je n’avais plus revu depuis. J’ai mesuré sur son visage abîmé par le travail et le soleil, le temps qui s’était ainsi écoulé, ce temps qui est le même pour tous les individus vivant sur cette planète. Je n’ai pas voulu le déranger dans ses habitudes journalières et ces retrouvailles furent brèves mais chargées de sincérité. J’en oubliai même d’immortaliser ce moment. Nous avons emporté avec nous quelques produit de son exploitation, confitures, jus de pommes…. J’ai mis un terme ainsi à 33 ans d’interrogation et de mystère. Puis rejoignant la côte, nous avons fait une brève visite à la cité de Carcassonne, de quoi nous mettre en appétit pour un éventuel retour dans cette région d’ici quelques années.
Le lundi nous avons consacré la journée à une grande randonnée à vélo sur les hauteurs de l ‘arrière pays, franchissant trois cols et dévalant ensuite 30 km de petites routes à l’ombre des forêts catalanes. Nous avons découvert quelques petits villages typiques de ces contrées à la fois sèches et rudes, mais également tranquilles et très accueillantes.
Les jours suivants nous avons enchaîné siestes, lectures, promenades en bord de mer, coktails-et oui on s’est pas privé-, petits restos, réflexions sérieuses et humour décapant en laissant s’écouler ce temps précieux qui nous séparaient de la fin de notre séjour. Un soir nous avons suivi la corniche en voiture jusqu’au Cap Cerbère, et face à une lune qui avait fini sa mutation, j’ai soulagé une envie pressante, ou comme dirait Brel, j’ai pissé dans les étoiles, à plus de mille kilomètres du port d’Amsterdam. Peut-être qu’à ce moment, là-bas, un marin ivre faisait de même, devant une lune voyeuse et blasée. J’ai tendu l’oreille pour écouter les vagues cogner la falaise, quelques dizaines de mètres plus bas, il faisait chaud, et je me suis senti pris par ce moment unique.
J’ai su que, désormais, je n’aurais plus peur de vivre. (A suivre).