L’année dernière, nous n’avions pas souffert des rigueurs climatiques que l’on nous avait promis ici. Le propriétaire avait bien essayé de nous inquiéter, le sourire aux lèvres, en nous décrivant un village bloqué par les glaces et les congères. Mais nous avons vu venir le printemps, sans faire de différence avec notre hiver nordiste. Paugnat, la petite Sibérie, comme on l’appelle ici n’était pas à la hauteur de sa réputation. Nous avons crié victoire un peu trop vite. Depuis une quinzaine de jour, la température n’a guère passé les 5° et ce matin un froid polaire plombait le village. Le proprio n’a pas réussit à ouvrir sa porte de garage, bloquée par le froid. Quand on plaisante, on assume ! Malgré tout, nous parvenons à continuer à nous promener dans cette nature figée, tantôt noyée dans un brouillard givrant laissant apparaître quelques formes fantomatiques aux détours des sentiers, tantôt éclatante dans un ciel bleu pur, nous offrant des panoramas du Puy de Dôme et de ces petits frères à couper le souffle. Notre témérité est ainsi récompensée par un spectacle gratuit dont je ne me suis pas encore lassé. Il en faut peu pour être heureux. Sans doute ce plaisir serait décuplé si nous pouvions le partager. Et je commence à comprendre pourquoi je ressens de plus en plus ce détachement de tous ces remues-ménage que font les poissons dans la nasse. J’écoute d’une oreille discrète le vacarme d’un monde qui n’en finit pas de s’enliser dans un monde virtuel, sans me sentir plus concerné que cela. Il fut un temps où je militais, où je m’engageais, où je vociférais dans un micro une haine profonde, sincère et sans écho. Il y a un temps pour tout. Ce soir je contemple, et cela me suffit. Je ne veux pas finir comme ce personnage de La Peste, qui, déçu, se met à tirer sur tout ce qui bouge. Cela agace parfois Fabienne de me voir ainsi, profiter de l’immobilité du spectacle qui m’entoure, sans rien demander d’autre en retour. Mon passé me perturbe déjà suffisamment pour que je prête attention aux turpitudes désastreuses de nos décideurs. Voilà, je suis ainsi aujourd’hui. Le nez hors du ruisseau, pour ne pas culpabiliser les Rousseau de passage. J’observe les mouvances de cette génération qui s’avance sans même me demander si une quelconque action de ma part pourrait changer le monde, et cela soulage mes ulcères. Je laisse aux sénateurs le soin d’anéantir un peu plus nos rêves d’espérances de paix et de tranquillité. Sans m’inquiéter du résultat. Je me tourne vers ces montagnes blanches et belles, et, pour une millième fois, je dis à Fabienne : « putain, regarde ça comme c’est beau. ! » Et ça commence vraiment à l’agacer.
Tant mieux.
Pour nous deux.
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