…Et donc ce matin, comme prévu, un épais manteau de neige recouvre le pays. Il n’est que 7h , mais l’épaisseur de neige est déjà d’1 pirus.( c’est le nom de notre chien, un yorkshire). Je me suis dépêché de prendre le petit dej pour parer au plus pressé : sortir la voiture de la cour pour la stationner à un endroit d’où je pourrai facilement partir, et aller promener le chien sur la route, là où les chasse-neige, en action depuis de nombreuses heures, ont dégagé la chaussée. Tout comme il y a deux ans, cet épisode hivernal ravive en moi de lointains souvenirs d’enfance, et je n’ai qu’une envie : attendre que le jour se lève pour m’avancer gaillardement dans ce monde au décor totalement transformé, le MP3 sur les oreilles, m’isolant ainsi du mieux que je peux de toutes ces mauvaises nouvelles que le petit écran vomit déjà à cette heure. Si on ne profite pas de ces plaisirs offerts par cette nature au rendez-vous, alors que nous restera-t-il ? Et, égoïste chevronné, je n’ai pas envie de penser à ceux qui souffrent de ces intempéries. Il me reste bien assez de temps dans la journée pour cette tâche, chaque chose en son temps. Le jour vient de se lever, Fabienne observe par la fenêtre, l’air dubitatif, le paysage qui n’en finit pas de disparaître sous la neige. « et tu voudrais que l’on habite ici toute notre vie ? » me demande-t-elle, désolée. Je ne réponds pas. Je ne suis pas si égoïste que cela, je sais aussi sacrifier mes fantasmes. Mais sincèrement, cette intempérie me rassure. 18° en décembre, par ici, ne satisferait que les Vrais. Egoïstes.
11h. Les arbres commencent à plier sous le poids, évacuant ainsi leur surplus de neige, naturellement. L’horizon est totalement bouché, on ne distingue plus la limite entre le ciel et la terre. Il ne fait pas vraiment froid et il n’y a pas de vent. Et une image me revient à l’esprit. Les enfants, Nicolas et Damien étaient à l’école primaire, et devaient revenir à pied pour le repas du midi. Un petit kilomètre les séparaient de la maison, et la neige qui s’était mis à tomber dans la matinée, commençait à sérieusement gêner tout déplacement. De plus un vent de bise s’était levé, ajoutant à ces difficultés une angoisse toute particulière. J’attendais mes deux protégés en observant par la fenêtre le bout de la rue où pas une ombre se profilait. Je m’étais dit que, comme beaucoup d’enfants de cet âge, les miens prendraient un malin plaisir à revenir seuls à la maison. Mais l’inquiétude me gagnant, je décidai d’aller à leur rencontre. Je n’avais parcouru qu’une dizaine de mètres quand je les vis se profiler au coin de la rue, emmitouflés dans leurs manteaux d’hiver, marchant péniblement dans ma direction. Me rapprochant je vis le sourire de l’aîné, Nicolas, mais surtout les sanglots de son frère, exténué, affolé de se croire sans doute perdu au milieu de cette tourmente qu’il traversait pour la première fois, seul. Une fois sa petite main dans la mienne, ses sanglots redoublèrent d’intensité et ce ne fut qu’en arrivant dans la chaleur de notre maison qu’il réussit à se calmer. C’est une image, parmi tant d’autres. On ne savait pas, on ne s’intéresse jamais assez aux différences. Ce n’est qu’après, longtemps après…comme dirait Brel.
18h, la neige s’est arrêtée de tomber. Je me suis aventuré à pied pour me rendre compte de l’état de la chaussée, avec le passage des engins cette nuit, demain matin je ne devrais pas avoir de problème pour descendre au boulot. Beaucoup de monde dehors, la pelle à la main pour dégager leur maison. Moi-même je me suis dirigé vers la voiture laissée sur un parking proche de la maison pour évacuer toute cette neige. Puis j’ai sorti le chien, j’ai marché dans les traces d’un 4x4 pour lui laisser le confort de se soulager. Et l’animal s’est amusé comme un fou dans ce paysage bizarre à son goût. Nous avons préparé bougies et lampes de poche car les pannes d’électricité sont nombreuses dans la région. Voilà encore un épisode de notre vie ici qui nous a réservé pas mal de surprises. Peut-être ne passerons nous pas le prochain hiver ici, en altitude, mais les souvenirs de ces péripéties resterons bien au chaud dans notre mémoire d’émigrant.
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