Je me revois, enfant, âgé d’une petite dizaine d’années, courir, seul, comme abandonné, dans les rues mal éclairées d’une ville dont je ne connaissais que la voie principale. Des instituteurs sans doute exténués après un voyage en bus avec des enfants turbulents et curieux de tout, m’avait laissé devant l’école, prétextant le manque de place dans les voitures pour me raccompagner chez moi. Je crois encore ressentir cette angoisse grandissant minutes après minutes, en voyant petit à petit se vider le parking. Je me retournai alors, n’attendant rien de personne, et fonçai dans la nuit, essayant tant bien que mal de me rappeler le chemin qu’empruntait chaque jour le car qui nous ramenait chez nous, après l’école. Je courrais sans m’arrêter dans la faible lueur des lampadaires, et au fur et à mesure que j’avançais sur les trottoirs sales, la terreur m’envahissait, accompagnée de sanglots incontrôlables. Et je courrais. Je ne voyais pas le bout de cette nuit qui s’épaississait dans la froideur et l’humidité de cette ville encore inconnue. Parfois je croisais un passant qui ne prêtait pas attention à moi, trop pressé de se mettre au chaud après sa journée de labeur. Il ne faut pas en vouloir aux passants incrédules. Ils ne font que passer. Quand on est de passage, simplement, il est difficile de croire. De toute façon, moi, je m’en foutais de leur pitié, fallait que j’arrive chez moi, là-bas, là-haut, loin des lumières, dans l’obscurité encore plus profonde de la campagne où je vivais. Pas de fatigue pour mes petites jambes, j’étais, j’en suis sûr, le coureur de fond le plus rapide de la planète. Et Michel Jazzy pouvait bien s’accrocher ! Mais voilà, les coureurs de fond ne pleurent pas, eux, ils se contentent de courir. Et moi, je faisais les deux en même temps, faut vous dire l’exploit. La terreur franchit un échelon supplémentaire quand je m’aperçus que, pour arriver chez moi, il allait falloir franchir ce pont qui me terrorisait depuis des lustres, à en faire des cauchemars affreux et inavouables. Le pont se rapprochait, et moi j’allais me noyer, mangé, dégluti par cette construction horrible. Noyé, de toute façon, je l’étais déjà à moitié par ces sanglots qui maintenant empêchaient toute respiration correcte pour franchir de nouveaux records de course à pied. Je marchais presque à présent, retardant le moment fatidique du franchissement fatal. Et je voyais là-bas tout en haut de la colline, les faibles lueurs de ma rue où ma mère, inquiète sans doute de ce retard, m’attendait dans la petite maison. Je pense que j’allais m’évanouir. C’est alors que près de moi une voiture s’arrêta, dans laquelle je reconnu mon voisin, chauffeur de taxi. Je passai le pont en vainqueur, perdu au milieu d’un déchaînement de larmes. Cette nuit là, je ne fis pas de cauchemar, et l’année d’après, je changeai d’école. Le pont me perturba bien longtemps encore, mais plus la nuit, ni la solitude.
3heures..3heures que je viens de passer derrière mon écran à vous lire du début jusqu'à la fin..3heures au bout desquelles,je suis bouleversée,admirative,brassée,honteuse de ma tristesse devant mes petits malheurs personnels qui m'encombrent,certains jours..merci.courage.
Rédigé par : Lilijeanne | dimanche 19 octobre 2008 à 02H05