C’est une route que l’on connaît par cœur. Que je connais trop bien. Chaque ville, chaque village traversés, me ramènent à des souvenirs précis qui réveillent en moi une sourde peine. Je ne fais jamais le même trajet. L’aller par une route, le retour par une autre. J’ai essayé de trouver d’autres chemins, ils existent. Mais je dois vaincre ce sentiment de solitude qui m’assaille lorsque, passant devant un lieu connu, les images d’un bonheur facile et lointain me distraient et me détournent de la concentration nécessaire à une conduite prudente. A cette seconde il pourrait se passer n’importe quoi. Une inattention passagère et l’obscurité soudaine. Je n’ai pas le droit à l’erreur, j’ai la vie des autres entre mes mains. Je ne peux pas me laisser emporter par les souvenirs. Même si j’entends encore les chamailleries à l’arrière de la voiture. Même si sur le parking que je viens de passer, je les vois courir et se détendre. Même si, dans le calme de l’habitacle douillet, j’écoute ce sommeil d’enfants fatigués d’avoir demandés : « c’est encore loin ? » . Je ne peux pas me laisser distraire. La route est dangereuse et encore longue.
Commentaires