VU DU BALCON : ARCHIVES

Petit coup de froid ce matin. Une légère couche de neige recouvre les collines avoisinantes. Ici, le printemps est encore loin et il ne faut pas se fier aux éclaircies trompeuses qui ont baigné le pays ces derniers jours. Nous connaissons maintenant tous les secrets  de ce pays montagneux au climat rude et parfois surprenant. Nous y avons appris le calme, la patience, la réflexion, la découverte, la déception. Nous nous préparons doucement à cette transition attendue depuis de longs mois. On a beau venir du Nord, on ne s'habitue pas forcément à ces hivers prolongés, surtout lorsqu'on sait qu'à quelques encablures, un franc soleil prépare la bonne saison. Comme hier. Nous sommes descendus vers Clermont pour prendre un petit bain de foule, nous promenant dans des rues ensoleillées simplement balayées d'un petit vent frais, puis nous avons retrouvé le soir un crachin, quitté le matin, qui annonçait sans doute ce refroidissement soudain. L'espace de quelques minutes, de quelques kilomètres nous sommes passés de la lumière vive à une grisaille affligeante. Allez, on va arrêter de se plaindre. Dans l'ensemble, ce pays nous a remis sur jambes, inutile aujourd'hui d'en faire une critique acerbe sous le simple prétexte que l'ennui nous gagne un peu. Ce serait un manque de respect. Le dimanche sera calme, je vais le passer au milieu de mes doutes et de mon attente, pestant contre un changement de programme qui a brisé l'élan avec lequel je me dirigeais vers ces nouveaux projets. Un élan peut-être trop important. Le saut demande une bonne appréciation  dans sa préparation et je reprends mes marques soigneusement, réfléchissant à cet obstacle à franchir. Le reste dépendra de mes forces.      

La semaine vient de passer et je ne suis pas beaucoup plus avancé. Hier, quelques heures avant le rendez-vous tant attendu, une dame sans doute bien intentionnée m'a annoncé avec sa plus jolie voix que l'entretien était reporté d'une semaine. Info ou intox? Bon je lui ai fait comprendre qu'il fallait pas me la faire celle-là et que c'était ok pour le 2 mars. Anniversaire de ma belle-mère soit dit en passant. Elle m'a dit que je recevrai un courrier de confirmation. J'ai dit: je préfère. Tiens donc, cela me fait penser que pour ce premier rendez-vous manqué, je n'avais reçu aucun courrier. Donc. Je pense qu'il y a un peu de stratégie là-dedans, et je m'en amuse un tantinet. Cette confiance qui me porte depuis notre arrivée ici m'aide à  appréhender ce genre de problème dans sa complexité( Larousse).  Bref, après un moment de haine furieuse, je me suis fait une raison: les choses n'arrivent jamais quand on les attend. Ce genre de phrase toute faite rassure parfois. Alors on va attendre quand même, sans trop se biler, sans trop se faire d'illusions car après ce flop de départ je cerne un peu mieux les méfaits qu'une trop grande assurance pourrait provoquer. La semaine prochaine je rentrerai dans le bureau veillant bien à ce qu'ils ne me prennent pas de trop haut. C'est eux les demandeurs, non?

Mais parlons un peu d'autres choses. Alain, quand il était gosse, petit, gamin, il était chauffeur de bus. Il découpait dans un grand carton la forme d'un volant, ces grands volants qu'il voyait tourner entre les mains des chauffeurs de car qui le ramenaient le soir chez lui. Ou le conduisaient le matin à l'école. Il essayait toujours de trouver sa place à l'avant, face au grand pare-brise, et si c'était possible il restait debout, s'accrochant à la barre chromée. A cette époque les moteurs étaient encore à l'intérieur de l'habitacle, sous un énorme carter. Ca pétaradait agréablement et on avait l'impression que rien ne pouvait arrêter cette machine infernale. Poussez vous c'est nous qu'on arrive! Les voitures en face se garaient, le bus passait. On se demandait bien comment. Et Alain regardait cet énorme volant glisser entre les doigts du conducteur, il observait ces bras immenses tourner l'ustensile dans des contorsions inimaginables. Pas de direction assistée. On assistait rien à l'époque. Après ça a changé. Bref. Alain à l'avant du bus était le maître du monde, Léonardo, n'a rien inventé. Manquait que Rose. Il s'était dit:"plus tard je ferais ça". En attendant il jouait durant des heures avec son volant en carton. Puis, plus grand, il a conduit des camions, c'était presque pareil, du moins si on se réfère au volant. Il a fait des beaux voyages, dormi au bord des vignes réputées de Bourgogne, il en a bien profité. Mais ça n'a pas duré longtemps. Et il sait pas si aujourd'hui il a encore l'envie de conduire des bus, qui se conduisent avec le bout des doigts, sans doute pour pas abîmer le volant. On peut même plus rester debout devant le pare-brise. Ca fait même plus de bruit. C'est mieux pour tout le monde. Et tant pis pour Rose. J'ai dû comprendre cet état de choses très tôt, lorsque je me suis aperçu, qu'en fait les filles étaient toujours à l'arrière. Là où ça remuait pas mal. Et moi je préférais l'avant, près du volant. Puffff.

La semaine prochaine je serai fixé. Je saurai si je peux me préparer à affronter l'inconnu, si cette envie sous-jacente qui traînait en moi depuis quelques mois se vérifie ou si, comme un caprice trop vite assouvi, elle ne me laisse qu'un vague plaisir, celui justement de m'être fait peur, comme j'ai si souvent eu l'habitude de le faire. Plus je pense à cette nouvelle situation qui s'annonce, plus je sens renaître les forces qui me manquaient ces derniers temps. Quelques sacrifices sont d'ores et déjà à envisager. Les vacances! Ah ! ces chères vacances dont nous avions retrouvé tout le charme et dont nous commencions à préparer les prochaines péripéties. Pour cette année ce sera Auvergne pour tout le monde! Qui c'est qu'a dit "encore!"? L'année prochaine, si tout va bien, on retournera voir le Sud. Et puis, vous plaignez pas, ou je me fais muter à Boulogne. Non mais. Et le vélo, vous y avez pensé au vélo…La bonne idée que j'ai eu l'année dernière de faire tous ces kilomètres à travers ces paysages magnifiques et inoubliables. 22 cols j'ai franchi, la fleur aux dents, la tête dans les nuages. J'avais déjà préparé trois circuits pour la saison qui s'annonce, et ma foi, rien ne m'empêchera de les réaliser, si je rentre pas trop crevé de mes déplacements. Car ils vont me faire voyager ces bougres de nouveaux patrons. Vous allez voir du pays, qu'ils ont dit. Chiche! que j'ai pensé. C'est drôle, mais quand j'en ai parlé à Fab, elle a souri. Je ne cache pas que cet éloignement hebdomadaire et régulier durant les quatre mois que va durer la formation ne m'inquiète pas un peu. J'avais pris mes habitudes de pré-retraité ici. Petite journée de travail. Petite balade avec le chien, apéros du week-end…Tellement d'habitudes que j'avais commencé à m'en plaindre un peu trop au goût de certains… taines. Et il faudra apprendre aussi bien d'autres choses en matière de renoncement. Faire abstraction de cette nature à fleur de peau qui nous a accompagné durant toutes ces années, nous refaisant découvrir quelques valeurs négligées et même oubliées. Laisser cette étape de vie derrière nous, mais toujours venir y puiser tout ce qui nous a aidé à revire. Nous avons tellement appris en quatre ans. Et les enfants qui nous entourent aujourd'hui font résonner de leurs cris et de leurs rires l'évidence et la logique du résultat de cette longue quête d'espoir. Alors, vous pensez, les vacances...!  

…et tout comme il y a quatre ans, les choses se mettent en place d'elles-mêmes. Vous pouvez vérifier, rendez-vous dans les archives décembre2006, janvier 2007… Ce matin nous avons visité une maison dans un charmant village situé à quelques coups de pédales de mon supposé nouveau job. Gimeaux, il se nomme, et il est le lieu de rendez-vous chaque année des artistes de la région pour lesquels les habitants prêtent volontiers leur cour, garage, cave pour faciliter les diverses prestations. C'est le Printemps de Gimeaux. En Avril. Eh bien c'est assez surprenant, mais après toutes ces recherches pour trouver un lieu de vie un peu moins élevé afin de profiter un peu des douceurs de la plaine, ce matin nous avons fait affaire. C'est comme ça qu'on dit ici. Une location, pas un achat, mais une maison qui se prêtera bien au travail de Fab et , encore une fois si tout se concrétise, à 5km de mon boulot, ce qui me permettra de m'y rendre A VELO! Et Nico notre fils pourra exposer ses toiles, sans doute pas cette année, le programme devant déjà être bouclé, mais l'année prochaine…Ne pas boire le vin avant qu'il ne soit tiré, ne pas mettre la charrue avant les bœufs…oui tout ça je sais. Mais qu'il est bon de savoir que la vie est encore pleine d'imprévus. Que l'ennui recule, quel soulagement! Que le printemps arrive, la belle saison, et que j'espère à travers ces lignes pouvoir apporter un peu d'espoir et de courage aux âmes en perdition. Je le fais pas exprès, je vous jure.  Chers petits anges, vous pouvez être fiers de vous.

Une semaine plus tard, à la séance des tests, nous étions 6. Nous devions être 8. Mais à 13h30 précise, comme cela était indiqué sur notre convocation, ils ont verrouillé les portes : possible de sortir, mais trop tard pour les autres, ceux qui venaient de l'extérieur. Puis les tests ont commencé. Pendant qu'ils nous présentaient tout le tralala, je me revoyais quatre ans auparavant, lors des tests d'embauche Michelin, quelques rides en plus quelques dents en moins, quelques cheveux gris en plus, beaucoup d'autres en moins. Mon poids n'a pas bougé: 72. C'est pas mal. Je devais avoir un léger sourire au bord des lèvres, j'espère qu'ils se sont aperçus de rien, des fois qu'ils croiraient… Mais non, je prenais cette étape très au sérieux, les gencives enflammées à cause d'un détartrage décapant de la veille. Et je vous dis pas, dans ces situations de stress, les dents elles se rappellent à vous. Mais bon, je suis dans les temps. Deux heures plus tard je sortais en plein soleil, un mal de crâne héroïque sur les épaules, un sentiment bizarre au fond de mon âme. Le lendemain je recevais les résultats. C'est fou dans ces cas là comme les services postaux fonctionnent bien. Je recevais en même temps la réponse de Frontigan, comme quoi "malgré tout l'intérêt que représentait votre candidature…" Le Sud ce sera donc pour une prochaine fois. A croire que tout était synchro. Bon, les tests c'est ok, je vais attendre la suite, et puis…c'est quand même dingue non? Faudrait peut-être que je joue au loto….

Je suis arrivé devant l'agence du pole emploi un bon quart d'heure à l'avance. Il faisait glacial et pourtant je n'étais pas le premier sur les lieux. J'avais la chance, moi, d'être bien au chaud dans l'habitacle de la voiture, d'avoir un boulot, et je prenais comme un luxe d'être là, convoqué pour une réunion d'information au même titre que ces personnes sans doute moins bien loties que moi. Je suis donc sorti de la voiture et me suis rangé parmi eux pour partager cette attente dans le froid humide de ce matin de Février. J'ai toujours pensé qu'il fallait commencer par cela: réduire les différences. Nous nous sommes installés un peu plus tard dans une salle bien chauffée où les cadres de l'entreprise concernée par ces offres d'emploi nous ont présenté leur projet d'installation dans la région. Puis les entretiens individuels ont commencé. 10 mn. "Bon ben écoutez vous serez convoqué pour une série de tests la semaine prochaine". Je me suis retrouvé dans la voiture sans trop savoir comment. Je devais en principe reprendre la route de la maison avant de retourner au boulot, mais, je ne m'explique toujours pas comment aujourd'hui, j'ai réalisé que je me trouvais sur une route qui n'était pas la mienne. J'ai essayé de reconnaître les lieux et après ce moment d'absence de quelques minutes j'ai fait demi-tour pour aller directement au travail. Drôle d'impression de savoir que durant ce court laps de temps je m'étais comporté comme une machine, totalement coupé de la réalité, perturbé par ce changement soudain de perspective. Et depuis ça se bouscule dans ma petite tête…Il y a quelque temps je craignais ces habitudes qui reprenaient petit à petit le dessus, me demandant comment envisager cet avenir et voilà que tout semble se remettre en question, relançant une machine en perte de vitesse. Eh non, ce blog n'est pas près de s'éteindre…Ce ne sera peut-être pas le Sud pour l'immédiat, mais certainement une nouvelle éclaircie pour les mois à venir. Et qu'elle semble douce cette caresse d'espoir.  L'aventure ne fait que commencer! Alors fidèles accompagnateurs, restez avec moi...